Comme souvent, je suis sur mon PC en train de travailler. Comme trop souvent, je suis en train de pester, sur un mail, un audit, ou un document, peu importe. Elle se plante devant moi, son doudou pantelant à la main. Elle fronce ses tous petits sourcils, et, infiniment sérieuse, m’assène : Papa, pourquoi tu cravailles?
Ça m’a stoppé net. Elle a beau n’avoir que deux ans et demi à l’époque, Océane lit déjà couramment l’âme humaine – elle tient ça de sa maman. Sur le coup, j’aurais carrément préféré une question nettement moins embarrassante, du genre, Comment on fait les bébés?
Ou encore, penses-tu que la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave est encore pertinente dans ce monde pré-apocalyptique qui est le nôtre?
Mais non. Sa question me scotche, car dans son regard décidé, je lis en filigrane : pourquoi tu travailles, si ça ne te rend pas heureux?
. Et j’avoue que je n’ai aucune réponse honnête ni sensée à cela.
Pourtant, d’un point de vue extérieur, je devrais être satisfait, et même fier, de mon job. Je fais ce que j’ai choisi de faire, à savoir, agir concrètement pour l’accessibilité du web au travers de mon travail de consultant. J’ai une situation stable, un contrat à durée inespérée, et un salaire forcément insuffisant, mais qui paye tout de même le loyer, la bouffe et les DVD de Dora. J’ai creusé mon petit sillon, assez pour ressentir un début de reconnaissance par mes pairs. Mes collègues, développeurs, chefs de projets, et autres consultants, apprécient mon apport et l’enthousiasme que j’y mets. Des clients me sollicitent. Pourtant ça ne colle pas. Car je veux plus, je veux mieux. Je veux démultiplier mon énergie et ma passion, contribuer au savoir partagé, initier des projets d’industrialisation, construire collectivement un web meilleur, secouer le cocotier administratif… Toutes choses pour lesquelles je me sens freiné, brimé, frustré.
Après avoir retourné la question dans tous les sens, je comprends que j’ai dépassé la date limite de ma patience chez mon employeur du moment, une SSII tout ce qu’il y a de plus classique, pour le bon comme pour le mauvais. Dix ans, soit une demi-éternité dans ce milieu, que je m’y use, et m’y fabrique un masque de stress et d’anxiété qui inquiète jusqu’à ma fille préscolarisée. Plein de raisons expliquent cet état de fait, bâti à coups d’espoirs déçus, de malentendus tenaces, et de rancœurs mal digérées. Les détails feraient sans doute un papier intéressant (pour ceux que ça intéresse, hein), mais vous n’êtes pas là pour ça, et je vais donc en venir au fait.
Se pose alors la question : pour aller où ? Car c’est bien beau d’être un chien fou qui veut jouer avec la meute, mais cette meute a un tout petit territoire, pour le moment, et il faut y faire sa place. J’ai besoin de conseils avisés. Il se trouve que je connais assez bien l’un des mâles alpha de ce territoire, en la personne de Jean-Pierre Villain, de Qelios. Si vous ne connaissez pas Qelios, c’est un peu normal… c’est sans doute la boite spécialisée en accessibilité qui a chroniquement la moins bonne visibilité du marché. En revanche, JPV vous est sans doute plus familier. Il est la cheville ouvrière du système AccessiWeb, à la fois rédacteur, inspecteur, et formateur, pour le compte de BrailleNet. Autant dire, un monstre.
On échange depuis plusieurs années, on s’apprécie, on s’émerveille souvent de notre communauté de points de vue… et aussi de notre complémentarité, lui le technicien hors-concours, puits de connaissances, bâtisseur de référentiels d’accessibilité ; moi le chef de projet renégat, ayant choisi le côté lumineux, tout en gardant des réflexes et méthodes d’organisation de projets, qui détonnent dans un milieu peuplé surtout de codeurs ou assimilés. J’apprécie aussi le bonhomme, son parler-vrai, sa disponibilité, lui qui n’en a jamais une goutte de rab pour lui-même, et son humour sans pincettes.
Oui, j’en dis beaucoup de bien de Jean-Pierre, parce que je le pense. Pour moi, c’est le taulier, en France, et sans doute même plus loin. Il suffit de connaitre son travail, de lire ou écouter ses interventions, pour s’en convaincre. Le genre de type qui t’apprend quelque chose à chaque conversation. Et il connait son écosystème comme personne.
Du coup je ne vois pas plus indiqué que lui pour lui faire part de mon mal-être, et lui demander quelles boites du secteur, selon lui, je pourrais intéresser. Après quelques secondes de réflexion, ses sourcils s’arrondissent, et il me sort : Ben… Qelios?
.
Je l’avais pas vue venir, celle-là. Qelios, c’est deux associés, dont un productif, Jean-Pierre donc, qui se suffit à lui-même, selon un cliché tenace. C’est aussi le repaire du boss, celui que t’arrives jamais à battre à la fin du dernier niveau, inatteignable, inabordable. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse souhaiter m’y embarquer, d’une part ; et d’autre part, qu’il en aurait les moyens, car il n’était pas question pour moi de faire une quelconque concession financière. Mais une fois l’idée jetée en pâture à nos imaginations fertiles, elle s’est édifiée, densifiée, et on a fini par la trouver tous les deux vachement séduisante. Au point de ne plus penser qu’à cela. Au fil des mois on l’a peaufinée, et le 2 janvier 2012, allez, on attaque : je serai Directeur du Développement de Qelios. Titre un rien pompeux, je vous le concède, mais qui traduit bien les missions qui seront les miennes. Je préserve une certaine discrétion là-dessus, car la concurrence me lit (hé hé, si tu croyais que je t’avais pas vu, toi !!), mais normalement vous devriez très vite voir les effets de cette association nouvelle, et, je l’espère, fructueuse.
Voilà, fin du suspense, le jeu du pronostic sur Twitter n’a donc pas eu de gagnants (ou alors, ceux-ci ne se sont pas présentés à temps…). 2012 promet d’être passionnante ! Le mieux que l’on puisse me souhaiter, c’est qu’elle me comble professionnellement, pour que ma fille ne s’inquiète plus pour son papa en le regardant cravailler…
Un nouveau départ, c’est chouette ! J’ai l’impression de me voir il y a un an et demi. 🙂
Tu vas voir, ça fait un bien fou.
it’s a new dawn, it’s a new day, it’s a new life for you…and you’re feeling good !
🙂
Plein de bonnes choses pour cette nouvelle aventure !
Bonjour Olivier,
Mais pourquoi ai-je cette certitude que tu as fait un bon choix pour toi et pour l’accessibilité, et que ta fille va retrouver le sourire…
Toutes mes félicitations 🙂
Amicalement,
Monique
Quelle bonne nouvelle ! Bravo et bon vent comme on dit, à toi et à Qelios ! 🙂
Va cravailler, va cravailler !
bonne route, je pense que le couple toi et JPV, ça va tuer 😉
Félicitations, Olivier ! Je n’aurais jamais pensé une seule seconde que tu partirais travailler chez Qelios. J’ose espérer que tu as très bien, pour ne pas dire excellemment, négocié ton salaire.
Bref, je ne peux qu’admirer encore plus Jean-Pierre. C’est dans le besoin qu’on reconnaît ses amis. 😉
Merci à tous pour vos marques de sympathie et vos encouragements, ça me touche beaucoup!
Bonjour Olivier,
J’apprends votre départ prochain, vous allez faire une belle parie de cerveaux, la vache !
Mais euh, pssst, vous n’oubliez pas de terminer le projet sur lequel je bosse, hein ;). Cravaillez encore pour le projet, hein hein ?
En tout cas, le changement d’environnement fait un bien fou, et je vous souhaite une belle année riche en événenment
Bonjour Annabel,
merci pour vos voeux, je vous souhaite une très belle année en retour!
Pour le-projet-que-vous-savez, je reste en contact avec mon ancien employeur, et au pire des cas, il reste des gens capables là-bas, qui vous accompagneront efficacement. Donc, pas d’inquiétude!