Si tu es, ou si tu connais bien, quelqu’un qui a fait le choix de faire métier de l’accessibilité numérique, tu sais que c’est plus qu’un job. C’est un engagement ; la traduction économique et sociale d’une conviction. Et lorsqu’on a pris, comme moi, le parti de partager et de communiquer sur ses actions en la matière, on est forcément un peu obligé de parler aussi de sa situation professionnelle.
L’objet de ce billet est donc de t’informer, amie lectrice, ami lecteur, de la nouvelle étape de mon périple qui commence aujourd’hui.
Il était un petit navire, qui ne demandait qu’à naviguer. Il avait été baptisé Qelios, du nom de la déesse grecque des déficiences motrices de l’auriculaire gauche (du moins, c’est ce qu’on m’a dit).
À sa barre, un marin de légende : Jean-Pierre Villain ; alias JPV ; alias Le Parrain ; alias L’Homme aux Sept Référentiels (environ) ; alias Barbe-De-Trois-Jours (environ). Qelios est son vaisseau, même s’il bénéficie de l’aide de Jacques, associé, sponsor, avitailleur, charpentier, qui n’a pas pris la mer, car il préfère la montagne. Qelios est un pari : celui de tout mettre sur la voilure, quitte à avoir une coque fragile. L’idée est de prendre le sillage de bateaux de fort tonnage, les paquebots, croiseurs, tankers, qui sillonnent les mers du Web et font et défont les marées. Et, en toute discrétion, prendre soin de leurs soucis avec l’accessibilité, en échange de leur élan et de la protection que procure leur masse. Un peu à la manière de ces poissons pilotes qui s’épanouissent dans l’ombre des grands squales.
J’étais matelot à bord de l’un de ces navires lorsque j’ai croisé la route de Qelios. Connaissant le capitaine de réputation, et aspirant à l’aventure de l’accessibilité que vivait cette coque de noix, je l’ai invitée dans notre sillage. Et puis un jour, las de briquer le pont sans jamais tenir la barre, je sautai à pieds joints sur le Qelios, histoire que j’ai racontée dans l’article « Papa, pourquoi tu cravailles ? ».
L’idée était que je fasse bénéficier le Qelios de mon expérience en navigation, surtout dans les eaux saumâtres des ports industriels où mouillent les gros navires. Et aussi, jouer de la corne de brume pour se faire entendre dans les cabines de ces mastodontes. Car si Captain JPV était connu comme le loup de mer blanc dans les repaires de marins qui boivent et qui reboivent encore, pour les armateurs de la marine marchande, c’était juste personne. Et, ça, c’était pas juste.
Souci : j’avais un gros paletot, hérité de mes années de voyages au long cours, qui allait forcément lester le bateau. Mais d’un côté comme de l’autre, on voulait tenter le coup. On a fait le pari un peu barge de miser sur la vitesse, en se disant que la coque tiendrait assez longtemps pour qu’on accumule de quoi la consolider, dans un futur forcément radieux. On a fermé les écoutilles, largué les amarres, et souqué comme des mules.
Question aventure, je fus servi. On a exploré les côtes les plus sauvages des océans du Web. On a franchi des caps par douzaines. On a croisé des monstres marins. On a tiré des bords avec d’autres rafiots de notre acabit. On est même allé jusqu’à San Diego, histoire de voir si là-bas l’argent coule vraiment à flots. Je me suis cogné partout, j’ai dormi dans des draps mouillés. C’était le pied !… Et on s’est ensablé, on a démâté, on a dessalé, des tas de fois, mais on est reparti à chaque fois.
Jusqu’à la fois de trop. L’an de grâce 2012 fut une année de pétole pour tous, ce qui n’arrangea pas nos affaires. A force de rafistoler la coque, on n’avait plus de matériau, et notre armateur a jeté l’éponge. Il y avait une grosse voie d’eau juste sous la ligne de flottaison, il fallait délester. La mort dans l’âme, j’ai débarqué, avec mon gros paletot, sur les rives du Pôle Emploi. Non sans avoir envoyé toute la voilure, et peaufiné les plans de route. Et on s’est juré craché de me réembarquer dès que la coque serait réparée. C’était en mai 2013.
Cela a parfaitement fonctionné : soudain allégé, le Qelios s’est mis à filer plein pot, porté par des vents favorables. Restait à maintenir ce train assez longtemps. Pour éviter de mettre la grouille dans les esprits, puisque ça allait se régler en douceur, c’était certain, on est resté discret sur l’événement. Ce qui explique que peu de gens étaient dans la confidence – pardon à tous ceux qui ne l’ont pas été, j’espère que vous le comprenez.
J’ai profité de ce retour sur le plancher des vaches pour regarder grandir mes enfants, ce qui tombait plutôt bien vu que leur nombre avait doublé 3 mois auparavant. Parfois Qelios repassait au large, on se faisait de grands signes, mais la coque était encore trop fragile pour naviguer la cale pleine. Et puis un jour, il a fallu se rendre à l’évidence : ça n’allait pas pouvoir se faire. Ou alors, pas assez vite. L’appel du large se faisant de plus en plus pressant, je ne pouvais plus attendre. Re-la mort dans l’âme, j’ai repris mon baluchon et toqué à la coque des gros navires.
Là, presque par accident, je suis tombé sur un avis d’embarquement, lancé par un navire dont j’avais déjà largement entendu parler : le V-Technologies, surnommé bien souvent le V-Tech. Mais rien à voir avec les jouets de même nom : le V-Tech est un fameux trois-mâts, fin comme un oiseau, qui tient bon la vague, et tient bon le vent, depuis déjà vingt ans.
Fort d’un équipage d’une quarantaine de fiers marins, le V-Tech a la particularité d’être barré par deux skippers, Véronique Lefèvre-Toussaint et Jean-Luc Renaud. Véronique est bien connue dans les milieux de l’accessibilité du Web : elle a fait partie des premiers EAE (Experts AccessiWeb en Évaluation), et dans son sillage elle a fait certifier 4 (bientôt 5) de ses gars.
Qui plus est, le V-Tech fait partie d’une flottille armée par le Royaume de France, chargée de cartographier les rivages de l’Accessibilité Web. Flottille où l’on retrouve, en pointe… le Qelios !
La coïncidence était trop belle. J’ai proposé mes services aux capitaines du V-Tech, et après quelques brèves palabres, on est tombé d’accord. Dès aujourd’hui, je deviens donc Directeur du Pôle Accessibilité du V-Tech. J’y suis notamment chargé d’enseigner à l’équipe d’EAE tous les chants paillards ramenés des Sept Mers, de jouer (de nouveau) de la corne de brume, et bien sûr de collecter les cargaisons et trésors que nous allons quérir par-delà l’horizon.
Je ne regrette aucun des moments passés à bord du Qelios. Pas même ces conf-calls douloureuses, où, une boule dans la gorge, on étudiait les moyens les plus extrêmes de sauver le navire. En plus d’un professionnel hors pair, auprès de qui j’ai beaucoup appris, j’ai découvert en Captain JPV un être humain rare, droit et intègre, qui sait donner sa confiance sans jamais te trahir, et ouvert d’esprit comme personne (je sais, on me croit jamais quand je dis ça, mais je te jure que c’est vrai).
Avec le recul je peux dire qu’à ce jour cette escapade sur le Qelios aura été mon meilleur souvenir professionnel. Tout le mal qu’on peut me souhaiter, aujourd’hui, c’est que celle du V-Tech prenne sa place.
Je n’ai plus qu’une chose à te dire : bon vent ! 😉
Salut camarade de bordée. J’ai eu vent de ton enrôlement dans l’équipage du VTech alors que je sirotais du vieux rhum amarré à un duc-d’albe.
Ils ont eu le nez creux sur le VTech : tu à montré sur le Qelios que tu savais tenir la barre, que la tempête ne te faisais pas peur et que tu savais radouber les vieilles coques comme personne.
Dieu sait pourtant qu’on en a essuyé du vent fort, jusqu’à terminer à la cape, face à la lame en attendant mieux.
Cela m’avait arraché les tripes de te voir débarquer avec ton paquetage sur l’épaule, on à eu du vent jusqu’à très tard après ton départ, comme si tu rodais encore sur le pont… Mais bon hein…
Le VTech c’est autre chose que notre frêle esquif où il y avait pas moyen d’avoir le cul sec, ça à l’air d’être un joli joujou sur lequel tu embarque et c’est la meilleure nouvelle du monde pour notre fière flotille. Les côtes que nous abordons sont délicates et nous allons avoir besoin de tout ton talent.
Nous avons démarrés pirates à tirer des bords, toute toile dehors, enivrés par le chant des haubans, nous voilà corsaires à défendre la veuve et l’orphelin, drôle de destin tu ne trouves pas ?
Bienvenue à bord…
Cher Olivier, faisant partie de ceux que tu avais mis dans la confidence de ton dessalage, je suis vraiment, mais vraiment, vraiment heureux, très heureux pour toi que tu sois de nouveau enrôlé de gré dans la marine.
Je suis un peu à distance de longue vue toutes vos nouvelles aventures. J’ai le sentiment que l’énorme navire dans lequel je suis ne m’a pas laissé hisser plus qu’un petit foc pour vous rejoindre ou au moins pour ne pas me laisser trop distancer.
Mais je m’applique, même si, sur l’échelle de corde des derniers relevés cartographiques des gros navires qui deviendront encore plus grands, le mien n’a pas été bien loin même si on m’appelle ici « Le prix Nobel de l’Access », mais je sais bien que c’est pour me taquiner.
Bonne route à toi cher Olivier et pensées à Qelios et JPV
Fred
Quel joli billet ! Je te souhaite de nouvelles aventures palpitantes. Bon vent !
merci Romy!