Interview: accessibilité et gestion de projet

En faisant un peu de ménage dans mes documents, je suis retombé sur une interview écrite datant d’avant Accessiblog.fr. Je m’étais sûrement dit à l’époque que je la réutiliserais pour mon futur blog, je l’ai donc rangée bien comme il faut, et la voilà qui s’exhume. L’interview avait été sollicitée par une étudiante réalisant un mémoire sur le thème de la communication vers un public en situation de handicap grâce aux nouvelles technologies. Elle s’intéressait plus particulièrement au rôle du chef de projet dans le montage d’un site Web.

En relisant cette interview, je constate que ça reste cohérent avec ce que je prêche aujourd’hui, et qu’il n’est pas trop tard pour la publier, 3 ans après, avec quelques légères modifications.

Détail cocasse: c’est mon actuelle patronne, Véronique Lefèvre-Toussaint, qui l’avait orientée vers moi. Ô Destin, que tu es facétieux, parfois!

Au sein d’un projet porté sur l’accessibilité, quel est le rôle du chef de projet, est-ce un rôle central ou accessoire ?

Sur le plan de la gestion de projet, il n’y a pas de raisons de distinguer l’accessibilité des autres composantes de ce que l’on appelle généralement la « qualité Web ». Donc le rôle du chef de projet vis-à-vis de l’accessibilité est le même que vis-à-vis de l’ergonomie, la sécurité ou la conformité à un standard interne.

Or selon l’organisation qui porte le projet, ce rôle est plus ou moins central. Il y a des environnements de projet où le « chef de projet » traditionnel laisse la place à un facilitateur, un passeur entre le client et l’équipe de développement.

Pour ma part j’ai plutôt l’habitude des projets où le chef de projet est le pivot entre tous les métiers du projet, et l’interface entre MOA (Maîtrise d’Ouvrage) et MOE (Maîtrise d’Œuvre), plus ou moins d’un coté selon sa sensibilité et son positionnement propres. Mais ce ne sera pas le cas sur un projet typé Scrum par exemple.

En résumé : ça dépend!

Pour les entreprises l’accessibilité n’est elle pas seulement un prétexte à la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises)? Et pour leur image de marque?

C’est sans doute le cas, pour certaines. Là encore l’accessibilité ne se différencie pas d’autres grands sujets « altruistes » comme le respect de l’environnement ou l’éthique : il y a ceux qui le font sincèrement, ceux qui le font par opportunisme, et probablement tout le spectre entre les deux.

Mais je ne pense pas que les raisons sous-jacentes aient beaucoup d’importance tant que les utilisateurs y trouvent satisfaction. La différence sera éventuellement une différence de qualité dans les résultats, les « sincères » ayant sûrement plus à cœur de bien faire, et donc d’engager des actions durables. Le problème est souvent le maintien dans le temps de la motivation initiale…

L’accessibilité est souvent perçue comme restrictive tant au niveau des fonctionnalités d’un site que de son esthétisme, existe-t-il des moyens pour « contourner » ces éventuelles difficultés ?

Pour moi c’est un faux débat. Il faut faire preuve de bien plus de créativité pour concevoir inclusif, et cela donne de meilleurs produits dans l’absolu. Un site réellement accessible (techniquement et fonctionnellement) sera aussi généralement plus agréable et plus simple à utiliser. Anecdote intéressante : le supermarché en ligne Tesco disposait de deux sites de vente : l’un accessible, l’autre « normal ». La version accessible était une version simplifiée, en réalité, débarrassée de beaucoup d’artifices graphiques. Au final, Tesco a constaté que le site accessible vendait bien plus…. Car il était tout simplement plus utilisable. L’accessibilité replace l’utilisateur au centre de la réflexion, c’est une de ses vertus.

Un site accessible est-il plus cher ?

Oui, mais ce n’est pas le bon angle. La bonne question serait : un site accessible a-t-il plus de valeur ? Si je suis peintre, il est probable que des pinceaux de meilleure qualité, plus chers, me feront gagner du temps et de la qualité dans mon travail. Au final leur coût est plus élevé, mais leur valeur encore plus. J’ai donc intérêt à investir. Si mon site m’a couté 10% de plus du fait de l’accessibilité, et que je gagne 11% de plus, c’est un bon investissement.

Si le cœur de cible d’un site n’est pas composé de personnes en situation de handicap, recommandez-vous de mettre en place les normes d’accessibilité ?

Oui, car je ne crois pas qu’on puisse avoir ce genre de considérations. D’abord, ça n’existe pas, un cœur de cible non composé de personnes handicapées. À des degrés divers, nous sommes tous en situation de handicap à un moment ou à un autre. Par exemple, en fin de journée, après des heures de navigation sur le Web, on a envie de zoomer pour éviter trop de fatigue visuelle. Pourtant on n’est pas « handicapé » au sens habituel du terme.

Ensuite, ce n’est pas tant une question quantitative que qualitative. Sur le plan moral, le seuil minimal pour agir est de 1: qu’une seule personne soit empêchée d’utiliser le site, du fait des barrières à l’accès, est insupportable, et indéfendable.

Si on accepte d’être cynique, alors n’oublions pas qu’un internaute peut en valoir des milliers d’autres. Par exemple en nous faisant une pub énorme parce qu’il est influent, a apprécié nos services, et le fait savoir à son audience.

Je prends souvent l’exemple de Stephen Hawking, brillant physicien, totalement paralysé, qui communique au travers d’un ordinateur. Son apport à l’humanité est considérable, il détient peut-être les clés de l’énergie du 21ème siècle. Juste pour ce cerveau-là, ça valait le coup que l’ordinateur soit inventé !

2 réflexions au sujet de « Interview: accessibilité et gestion de projet »

  1. Bonjour, j’aime votre biais! Le trouve intéressant et partage votre point de vue.
    Je suis une personne aveugle, en charge, entre autre, de motiver une équipe de développeurs de projets multimédia. Imposer l’accessibilité comme outil au même titre que le reste du développement: tout un challenge, que chacun n’est d’emblée pas prêt à suivre. … Valeur ajoutée, c’est sûr: combien d’incrédules à ce sujet: car ils ignorent souvent que, pour beaucoup de types de handicap, l’internet est l’accès à l’autonomie, à la culture, à l’info, l’emploi et la formation, voir un outil de communication. Beaucoup ignorent encore que personnes sourdes, aveugles, parapplégiques, etc., savent lire, écrire et utiliser un ordinateur adapté.

    Cordialement.

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