Le bouillonnant et talentueux Nicolas Hoffmann vient de publier un article intitulé Pour en finir avec les bénéfices induits de l’accessibilité. Dans ce billet, que je vous invite à lire, Nicolas évoque la question vieille comme l’accessibilité des bénéfices induits. Sujet très discuté et largement trollifère… Et en substance, il nous incite à arrêter de nous battre comme des chiffonniers sur un débat puéril pour nous mettre au boulot.
Comme je suis cité dans l’article ET dans les commentaires, j’y suis allé de mon propre grain de sel, via un commentaire qui à l’heure où j’écris ces lignes a été filtré comme spam potentiel. Je soupçonne le mot « onanisme » d’y être pour quelque chose (tease, tease). Ce billet est l’adaptation de ce commentaire, car après tout, hein, y a pas de raison.
D’autant plus amusant que cette double mention révèle mon ambiguïté apparente sur le sujet. D’un coté j’ai déjà rédigé deux articles décrivant des bénéfices induits (sur l’automatisation des tests, et sur le plan écologique). De l’autre, un article sur l’opposition possible entre SEO et accessibilité, et d’autres où je martèle que le seul bénéfice valable de l’accessibilité, c’est l’accessibilité.
Cela révèle en fait mon évolution. J’ai été biberonné à l’enthousiasme juvénile des débuts de l’accessibilité en France, où il fallait une bonne dose d’optimisme pour penser que toutes les bizarreries qu’on devait défendre, au nom d’une cible non identifiée et majoritairement silencieuse, allaient faire leur chemin dans les projets Web. À cette époque, joyeuse mais confuse, tout bois allait au feu, on verrait après.
Je ne me suis pas privé d’y jeter de grosses bûches (SEO, perfs, qualité de code, argent facile, succès auprès des femmes, etc.) pour convaincre mes interlocuteurs. Et puis j’ai croisé la route d’un énergumène, qui m’a dit, alors qu’on se demandait pourquoi tout ces arguments ne fonctionnaient pas: « la vérité, c’est que tout le monde s’en fout des handicapés
« . Cette phrase sans détour, à l’image du personnage, m’a choqué, tant elle révélait la sale et pathétique vérité. Mais elle m’a aussi montré la voie à suivre, et m’a attaché durablement à son auteur, au point que je l’ai rejoint comme collègue dans sa micro-boîte à l’avenir incertain (pour un temps trop court malheureusement). Vous le connaissez peut-être, il signe son nom à la pointe du clavier, d’un JPV qui veut dire… euh, JPV en fait.
Et donc depuis je me dis qu’on se fourvoie à s’excuser de faire de l’accessibilité pour ce qu’elle est. Que l’on doit en être fier, et y aller franco; car en prenant des voies détournées, on risque de s’en détourner soi-même.
Sur un plan plus prosaïque (et c’est pour cette raison, il me semble, que le débat ne s’éteint jamais vraiment, quitte à virer troll): cette confusion impacte négativement notre action auprès de nos interlocuteurs. Avec toutes ces promesses liées à l’accessibilité, on est attendu comme le sauveur du projet. Ce qui est ridicule, on vient juste emmerder le monde avec des trucs que personne ne comprend (hormis les gens qui en ont besoin, et au nom de qui nous agissons). Et du coup nous devenons redevables de promesses que nous n’aurions jamais dû faire, ou que d’autres ont faites pour nous. Et de fait on devient rapidement la cible de toutes les déceptions. Je me souviens de cette réunion chez le prestataire d’un client. Le chef de projet presta: « ah la la, avec toutes ces modifs pour l’accessibilité, on va exploser le budget!
« . Le chef de projet client: « euh, en fait, pour l’instant je n’ai pas encore parlé des modifs pour l’accessibilité…
« . Pour dire qu’on porte très vite un chapeau bien trop grand, dans ce domaine. Préservons-nous d’attirer inutilement les ennuis, donc.
Donc pour moi, l’abandon progressif du recours aux bénéfices induits caractérise une progression vers la maturité d’un domaine en pleine adolescence, et qui commence à assumer ses boutons disgracieux et ses poils incongrus.
Et s’il m’arrive encore aujourd’hui de faire un article sur un bénéfice induit rigolo, c’est plus par onanisme intellectuel (autre trait typique de l’adolescence!) qu’autre chose…
Pour ma part, j’ai déjà dépassé ce stade de l’excuse pour faire de l’accessibilité (à mon niveau). Même si j’ai droit au regard plein de condescendance quand je mets par exemple un tabindex= »-1″ pour éviter une tabulation inutile pour l’utilisateur genre « hé, on s’en fout », effectivement, je m’en fous (du regard plein de condescendance, si vous n’avez pas suivi).
Le billet se voulait une mise au point, avec autant d’honnêteté intellectuelle que possible : oui ça existe, non ça n’est pas une finalité, et ça n’est jamais qu’un effet de bord (j’entends tellement d’âneries sur ce sujet, au boulot, dans les conférences, etc.). Comme je l’ai mis en gras, « on fait une mise en accessibilité pour être accessible », point.
Suite à la discussion avec Romain Gervois et Victor Brito sur Twitter, faudrait que j’écrive un billet sur l’intégration, qui est en train de sortir de l’adolescence aussi. 🙂
C’est amusant, il y a environ un an je commentais sur ce blog pour dénoncer le fait que la mauvaise réputation de la mise en accessibilité (coût, difficulté technique, besoin d’expertise, et caractère facultatif car utile à une minorité) n’avait rien à voir avec le client (qui ne voudrait pas payer pour ça) mais des prestataires (qui donnent les arguments au client pour que ces derniers ne veuillent pas de cette ligne supplémentaire sur la facture).
Ce discours sur les bénéfices induits, que l’on croise sur Openweb, sur le blog de Nicolas ou celui-ci, ne me parait pas mauvais en soi car il me semble qu’il s’adresse avant tout aux professionnels du secteur.
Paradoxalement, je ne crois pas que des clients (peu importe leur typologie) puissent être convaincus par des « bénéfices induits » : ils ne paient pas pour des améliorations collatérales mais pour des prestations concrètes et mesurables. Les bénéfices induits n’ont que peu de poids dans ce type de décision, je le crains.
Mais si cela peut contribuer à persuader des prestataires d’améliorer l’accessibilité de leurs production afin d’augmenter la qualité globale de leurs prestations (en profitant des bénéfices induits sur le SEO, le Green IT, les performances, etc.), alors je dis banco.
Il faut « seulement » que ce soit clairement énoncé dans ce genre de discussions, afin de limiter la simple régurgitation d’arguments par le prestataire…
Ce n’est que mon avis de débutant, mais je pense que créer des points d’entrée variés grâce aux bénéfices induits est une bonne chose afin de faciliter la prise en considération de l’accessibilité par les différents corps de métiers du web. Et ça, c’est bien, non ?
Je suis newbie en accessibilité et mon but est de devenir experte ^^ (ceci dit je m’y intéresse depuis quelques années quand même).
Merci à Nicolas et toi de soulever ce débat car c’est justement des questions que je me pose très souvent depuis que j’ai sauté le pas vers l’entrepreneuriat. J’ai du mal à faire passer le message. Si vous passez par Paris Web j’aimerais bien en parler de vive voix avec vous et boire vos conseils 😉
J’y serai cette année, vu que je suis orateur 🙂
Eh oui c’est vrai ! On pourra alors peut-être en discuter entre deux conf 🙂
Mais avec grand plaisir 🙂