Pour éviter de répéter les mêmes arguments à ceux qui trouvent que l’article 18 de la loi ELAN n’est pas un problème, je vous ai concocté cet article pour expliquer en quoi c’est liberticide, et socialement et techniquement désastreux.
Rappelons le contexte : la loi Handicap de 2005 prévoyait que tous les logements neufs seraient désormais conformes aux normes d’accessibilité. L’article 18 de la loi ELAN en limite la proportion à 10%, les 90% restants devant être adaptables (« évolutifs » selon les termes de la loi) en cas de besoin.
Deux choses importantes à noter : ces 10% ne seront nullement réservés aux personnes handicapées ; et il s’agit d’un pourcentage des logements, pas des surfaces. Les personnes qui en ont besoin seront donc en « concurrence » avec les valides pour acquérir ou louer ces biens; et il y a fort à parier que seuls les plus petits et moins attractifs des logements seront mis aux normes, car malgré leurs défauts, ceux qui en ont vraiment besoin seront obligés de s’en contenter. Simple question de logique économique (Ah oui car si ça vous avait échappé, derrière ce recul des droits fondamentaux il y a des considérations financières uniquement, ce qui rend la chose encore plus gerbante).
Cela veut dire que les possibilités de choisir son lieu de vie, un des engagements pris par la France au travers de la Convention Relative aux Droits des Personnes Handicapées, sont réduites à néant. Cela va accentuer les effets de ghetto dont sont déjà l’objet les PH.
Certains considèrent que 10% c’est bien assez au regard de la proportion des personnes concernées dans la population. C’est oublier plusieurs aspects de la réalité qui ne sont pourtant pas bien difficiles à comprendre dès lors que l’on fait l’effort d’imaginer les situations réelles, sans se limiter aux chiffres bruts.
Déjà cela concerne en principe toutes les situations de handicap, mobilité en premier lieu, mais aussi tous handicaps moteurs, sensoriels et cognitifs, au moins en théorie. Il faut aussi tenir compte du fait qu’il ne s’agit pas d’une population figée. Le handicap peut apparaître dans un foyer en cours de vie, suite à accident, maladie, vieillissement ou changement de situation familiale (naissance, mise en couple, recomposition…).
Pour le dire autrement : il est impossible de prédire, à l’échelle du foyer, si et quand des besoins d’accessibilité apparaîtront. Ce jour-là, si le logement est déjà accessible, au moins cet aspect là est réglé immédiatement et sans frais supplémentaires. Sinon c’est l’enfer.
Il faut bien sûr aussi tenir compte des situations de handicap temporaire, occasionnées par une blessure, une maladie ou une grossesse difficile, par exemple. Là aussi, c’est un gros souci de moins, versus la situation où il faut mettre en place une solution en catastrophe.
Pour toutes ces situations le principe de logements adaptables est un leurre. Le temps de l’adaptation, les personnes seront parfois en graves difficultés, éventuellement contraintes à l’hospitalisation (avec coûts et engorgements associés), loin de leurs foyer, job, études…
Tout cela bien sûr pour un coût que tous ne pourront pas supporter au moment voulu, puisque même s’il y a des subventions (accordées généralement après des délais en mois voire années), il y a toujours un reste à charge.
Mais j’ai presqu’envie de dire que ce n’est pas le pire. Le pire c’est pour les personnes qui sont déjà handicapées et qui cherchent un logement. On l’a vu plus haut, quels que soient leurs moyens, elles seront restreintes dans leurs choix, mécaniquement, d’autant que ces logements ne leur seront pas réservés, rappelons-le. Les logements adaptables mais non adaptés leur échapperont au profit de valides candidats à l’achat, et a fortiori à la location, qui poseront moins de problèmes et pourront se décider plus facilement.
Cela voudra aussi dire que les personnes avec des besoins d’accessibilité vont, malgré elles, imposer le lieu de vie au foyer, avec toutes les contraintes associées vis à vis du travail, de la scolarité, de l’accès aux soins, services, culture, loisirs etc. Car figurez-vous, ô surprise!, ces personnes ont des familles… et aussi des emplois, des amis, des relations, ainsi que les autres membres du foyer. Limiter les choix de lieu de vie signifie rendre tout cela littéralement 10 fois plus difficile pour elles.
Parlons maintenant de celleux qui n’ont pas de tels besoins, mais ont des amant•e•s, ami•e•s, familles, qui en ont. Leur logement sera un obstacle à la possibilité pour eux de les recevoir. Ce qui renforce la séparation entre valides et handi•e•s, et fait de ces derniers des poids pour leur entourage.
Ajoutons enfin que de nombreux logements sont utilisés comme cabinets médicaux, d’avocats, de notaires et divers prestataires et sociétés. Autant de lieux d’accueil du public, et aussi de travail, dont seront exclues celles et ceux qui ont des besoins d’accessibilité.
Dans notre société vieillissante, l’espérance de vie augmente, mais l’espérance de vie en bonne santé stagne (source INSEE, format XLS, 46 ko), et donc, mécaniquement, la durée de vie en mauvaise santé augmente. Un tel choix, aussi structurant, est donc un bien mauvais service rendu à un parc immobilier qui n’est déjà pas très accessible, et qui va encore plus s’éloigner des besoins des populations.
Je précise pour finir que je ne suis pas un spécialiste de la question. Je me suis contenté d’y réfléchir, de me renseigner, d’écouter ce que les personnes directement concernées en disent. J’ose croire que cette réflexion démontre la dangerosité de cette loi. Merci d’avoir lu!