La vie ne s’arrête pas avec le handicap; elle prend juste une autre direction

Récemment, Léonie Watson a publié un billet de blog (en anglais) racontant comment elle a perdu la vue. Avec beaucoup de franchise, elle décrit son parcours, jusqu’à devenir complètement aveugle, à cause du diabète. Elle raconte également comment elle a surmonté cette épreuve, repris le contrôle de son ordinateur grâce aux lecteurs d’écran, et « redécouvert le plaisir d’apprendre ». Au point de devenir diplômée en informatique, et reprendre son travail en tant que développeuse Web.

Ce que Léonie ne dit pas, cependant, c’est qu’elle est l’une des consultant•e•s les plus respectées ici bas, mentionnant modestement qu’elle « travaille et collabore avec beaucoup de gens intelligents et intéressants » — ce qui, en fait, signifie qu’elle fait partie de l’équipe all-star du Paciello Group.

Et ce fait est, pour moi, porteur d’un message très important, concernant le handicap, et la façon dont les êtres humains s’en accommodent.

Voici la traduction du commentaire que j’ai posté (en anglais) sur son blog:

Léonie, merci pour le partage, et ce texte magnifique.

Au-delà de sa beauté, pour ma part j’y lis un message fort et important: la vie ne s’arrête pas avec le handicap. Elle prend une autre direction, mais ce n’est pas un arrêt complet.

Il est fréquent que les personnes valides pensent qu’elles préféreraient mourir plutôt que de devenir handicapées. Dans le meilleur des cas, ces personnes valides prennent les personnes handicapées en pitié, applaudissant leur « courage », affirmant qu’elles ne pourraient pas supporter cela elles-mêmes.

Mais en général ce n’est pas vrai. On ne meurt pas du fait d’acquérir une déficience, et à moins d’y être prédisposé, cela ne donne pas envie de se suicider. On fait avec, et on continue à vivre, simplement d’une autre façon.

Plus jeune, je pensais de cette manière également. Devenir paraplégique était l’une de mes plus grandes peurs (ça, et la guerre thermonucléaire globale). Je connaissais des gens en fauteuil roulant, et pour moi c’était une perspective effrayante, bien plus que ce que je pourrais supporter. Un jour, à 21 ans, je suis tombé d’une falaise (à cause de mon incroyable négligence — être jeune et en bonne santé fait croire que l’on est indestructible et immortel, bien sûr). Durant cette chute de 10 mètres, j’ai eu largement le temps de réaliser que j’allais peut-être mourir la seconde suivante. Mais ma toute première réaction, à l’atterrissage, a été de hurler « Je sens mes jambes! », comme si c’était la meilleure nouvelle possible, meilleure que celle d’être vivant.

Ma perception des choses a évolué. L’ironie est que, plus tard, on m’a diagnostiqué une spondylarthrite, maladie que j’ai depuis ma naissance mais qui ne m’a causé problème que durant ma vingtaine. Du coup, lorsque je suis tombé de cette falaise, en réalité j’étais déjà sur le chemin d’une réduction de mes capacités. Mais ce n’est pas ce qui m’a fait changer ma façon de penser; c’est le fait de rencontrer, et de travailler avec des personnes en situation de handicap, grâce à mon travail de consultant en accessibilité. Je rencontre régulièrement des gens qui vivent leur vie pleinement, tout en gérant leur handicap au quotidien.

Tu es la preuve vivante que la vie n’a pas moins de valeur lorsque le handicap arrive. Tu as transcendé ta situation, et tu es devenue l’une des personnalités les plus respectées dans le domaine de l’accessibilité, à l’échelle mondiale. Aurais-tu atteint ce niveau de notoriété et de reconnaissance dans ta communauté professionnelle, si tu étais restée une-développeuse-Web-de-plus? Probablement pas.

L’erreur de base serait de croire que tu es parvenue à cela du fait de ta cécité (genre, « eh, c’est de la triche, tu utilises un lecteur d’écran tout le temps! »); mais ce serait passer à coté de la question. Tu en es arrivée là malgré ta cécité, et ce n’est pas un mince exploit. Il y a de nombreux professionnels du Web aveugles, et très peu acquièrent ton statut et ta reconnaissance.

Je ne suis pas non plus en train de dire que devenir aveugle était une bonne chose. Perdre la vue, ça craint. Terriblement. Personne ne devrait endurer ce que tu as vécu (et ne culpabilise pas trop pour ce qui est arrivé. Avoir le diabète est injuste, et sans témoignages comme le tien, tu ne pouvais pas vraiment savoir. Les médecins qui n’ont pas su trouver les mots sont des imbéciles). Il serait absurde de compter sur une déficience pour devenir quelqu’un d’extraordinaire. Tu étais extraordinaire bien avant cela. Chacun est extraordinaire, potentiellement, on a juste besoin de quelque chose pour le révéler, et surmonter le handicap fait partie de ce qui rend cela possible.

Encore merci pour avoir partagé ton histoire, qu’elle soit une source d’inspiration pour tous.

Traitez-moi de naïf, si vous voulez, mais je crois fermement en cela: nous avons tous la volonté de vivre, solidement chevillée au corps, qui nous permet de continuer d’avancer, quelle que soit la forme que cela prend. Faire face aux défis est ce que les êtres humains font de mieux.

Les personnes en situation de handicap sont constamment confrontées à des défis, pas toujours pour les bonnes raisons. Elles ne veulent pas de pitié, elle ne veulent pas qu’on les plaigne. Elles veulent juste vivre leur vie, et comptent sur leurs frères et sœurs humains pour construire, ensemble, un monde qui laisse de la place pour tout le monde.

Cette idée, magnifique, c’est ce que l’on appelle l’inclusion.

 

2 réflexions au sujet de « La vie ne s’arrête pas avec le handicap; elle prend juste une autre direction »

  1. C’est un très beau mot et une très belle histoire de vie.

    Pour avoir été confronté à qq accidents de parcours (grosse opération du dos), qq incidents de santé (un « petit » problème de cancer) et d’autres bricoles, je m’y retrouve totalement.

    > Il est fréquent que les personnes valides pensent qu’elles préféreraient mourir plutôt que de devenir handicapées.

    Je dirais même que les personnes qui disent ça accordent finalement très peu de valeur à leur propre vie. Si la vie et le bonheur devaient se limiter ou être « condition de », qu’est-ce que le monde serait chiant.

    Un truc qui m’a choqué quand après mon cancer, c’est comme des personnes peuvent être très maladroites (ou complètement connes, ça arrive aussi) dans ces réactions : « moi, je m’effondrerai » ou le classique « je ne veux pas vivre comme ça » que tu as relevé. J’ai même de la peine pour ces gens.

    Quand on y réfléchit : le handicap est présenté comme une « horreur absolue », et s’ils voient des personnes handicapées s’éclater dans leur vie, ça les renvoie à une méchante contradiction : « l’horreur absolue » du handicap, bin elle s’éclate plus qu’eux qui sont « valides » !

    Il m’arrive de lâcher une phrase un peu acide à quelqu’un qui ne veut pas se lancer : « tu attends d’avoir un cancer pour vivre ? »

    Perso, moi ça me plait de voir des personnes avec un handicap faire des trucs ordinaires et extraordinaires.

    Car s’ils le peuvent et si ça m’arrive un jour, j’ai la preuve que c’est faisable, et je pourrai le faire aussi. Je ne souhaite à personne d’avoir un handicap, mais je souhaite à tout le monde d’avoir la force de s’y adapter et de s’en accommoder aussi bien que Léonie.

    Pour moi, des gens comme Léonie sont en fait porteurs d’espoir : rien ne nous arrêtera, hormis la mort ! 🙂

  2. juste ma petite réflexion sur ce sujet qui n’a muri que très récemment (ça fait quand même 20 ans que je roule ;)) : après toutes c’est années, si on me faisait retrouver l’usage de la partie basse de mon corps, en échange de l’oubli de ces année en situation de handicap. Eh bien, oui, je crois que je dirais « gardez mes jambes, j’ai vécu trop de choses merveilleuses, rencontré trop de gens extraordinaires sans mes jambes pour que je les échange ! ».
    Et puis, comme le disais un copain paraplégique, « l’accident rend moins con », j’en avais bien besoin 🙂

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