L’arrivée de Gabriel, le mois dernier, dans notre foyer, a ravivé quantité de souvenirs liés à sa « grande » sœur, Océane, de 4 ans son aînée. Rien de surprenant à cela. Plus étonnant en revanche : j’y ai trouvé de nombreux parallèles avec les projets d’accessibilité.
Eviter de partir seul
Quand Océane est arrivée, sa mère et moi n’avions aucune expérience des nouveau-nés. Nous étions de parfaits noobs… Fort heureusement, à la maternité, et avant la naissance, des professionnels sont là pour vous expliquer en détails les soins essentiels. Si vous êtes curieux, vous trouverez aussi quantité de conseils et indications en librairie et sur le Web. Si, en soi, rien n’est difficile à faire dès lors que l’on y est préparé, on ne peut pas s’improviser parent d’un bébé qui requiert de multiples soins et attentions.
Pour l’accessibilité, on a le même besoin : c’est tellement spécifique qu’on ne peut pas réussir par accident. Il faut avoir assimilé un minimum de choses pour partir du bon pied, sous peine de vite se retrouver noyé dans un flot d’informations et de contraintes contradictoires, dont on ne peut s’extirper. Une formation, même très courte, permet de gagner un temps considérable pour la suite, et surtout, évite de s’enferrer dans d’infernales impasses.
Cette formation vous confère également un savoir indispensable : celui de déterminer quand vous avez atteint vos limites. Pour un bébé, cette capacité de jugement peut être vitale, et mieux vaut s’adresser à des professionnels trop tôt que trop tard. Il en va de même pour l’accessibilité : un coup de fil ou un message sur un forum peut parfois vous sauver la mise, et vous éviter de boire la tasse.
Maîtriser les règles pour savoir s’en affranchir
Avec Océane, nous mettions un soin maniaque à la préparation des biberons. Stérilisation systématique, dosage au millimètre… Idem pour le bain : on nous avait dit, l’eau doit être à 37°. Aidé d’un thermomètre digital étanche, nous jouions du mitigeur avec virtuosité pour être sûrs que le bain de notre puce serait à la température parfaite.
Pour Gabriel, on se formalise beaucoup moins. Vaisselle expresse, dosage au jugé… Et pour l’eau du bain, maintenant que le thermomètre est hors service, le poignet dans l’eau nous satisfait amplement comme instrument de mesure.
Sommes-nous devenus négligents ? Sommes-nous pour lui de moins bons parents ? Bien sûr que non ! Simplement, nous sommes devenus plus compétents. Et donc plus aptes à juger de la tolérance que nous pouvons appliquer.
Et d’ailleurs, pour le bénéfice de tous. Nous allions jusqu’à faire bouillir l’eau minérale (Oui, je sais, c’est ridicule. Mais à l’époque, nous découvrions tout… et ça, on ne nous l’avait pas expliqué). Nous traquions le dixième de degré avec le thermomètre de bain, au prix de longues minutes d’ajustement. Et n’allons pas croire que c’était mieux pour Océane. Le temps consacré à ces vétilles l’éloignait d’autant du biberon ou du bain, ce qui a le don d’exaspérer un bébé – et avec raison ! Et nous étions plus fatigués, plus stressés, et donc moins disponibles pour les choses qui comptent vraiment.
Avec l’accessibilité, lorsqu’on débute, un syndrome fréquent est celui de vouloir bien faire, jusqu’à en faire trop. Un syndrome que l’on nomme sur-qualité dans le jargon des projets. Et on va ultra-détailler des alternatives, des intitulés de liens, coller des titres hiérarchisés partout… Sans bénéfice pour l’utilisateur, voire à son détriment, car on peut passer à côté des vrais besoins ; et au prix de votre épuisement et de votre découragement. Car en accessibilité comme pour les bébés, il vaut souvent mieux faire simple et efficace, que se compliquer la vie pour un résultat pas forcément meilleur. Faire le bon travail, plutôt que bien faire le travail.
L’expérience, petit, l’expérience
Comme on vient de le voir, on n’agit et ne réagit pas de la même manière selon que l’on débute où que l’on est plus aguerri. Or, cette expérience acquise est ce qui vous permettra de gérer les situations inattendues. À la maternité, les premiers bains et premiers changes se sont forcément déroulés comme dans un rêve, et l’assistante de puériculture vous a guidé et rassuré. Mais que faire quand le bébé s’oublie dans l’eau du bain ? Qu’il vomit sur le dernier pyjama propre à portée de main ? Ces situations, pas improbables du tout (et les parents qui me lisent confirmeront !), seront d’autant mieux gérées que vous avez du « métier ».
Le travail sur l’accessibilité vous coincera également dans des situations piégeuses, et c’est l’expérience que vous aurez acquise qui vous en sauvera. Et là aussi, si vous êtes dépassé, une aide experte ou expérimentée peut vous éviter le bouillon.
Les règles, c’est comme les couches : ça se change
Il y a deux générations, on faisait dormir les bébés sur le ventre. Puis c’est devenu totalement proscrit, et vous passiez pour un criminel en puissance si votre bébé ne dormait pas sur le dos. Pour Océane, on nous avait conditionnés à appliquer ce dogme à la lettre. Pour Gabriel, né quatre ans plus tard dans une autre maternité, les recommandations ont changé : on nous a montré comment le faire dormir aussi sur le côté, car rester toujours sur le dos n’a pas que des avantages. Ce qui était la norme d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui, et probablement plus celle de demain.
Comparez les référentiels d’accessibilité de première et seconde génération : ils n’ont plus grand-chose en commun. Si les fondamentaux restent vrais, certaines règles ont évolué, voire ont carrément été supprimées ou bouleversées. Un site labellisé avec AccessiWeb version 1 ne tiendrait pas tous les critères de la version 2, et certains de vos efforts passeraient inaperçus de l’expert qui auditera le site sous ce nouvel angle.
Ceci ne peut être résolu que par l’actualisation de ses connaissances, et par une veille constante sur les évolutions du domaine. Tout en restant humble et à l’écoute.
C’est vous qui savez vraiment
Ce qu’aucun professionnel de la petite enfance ne pourra jamais vous enseigner, ni vous contester, c’est votre instinct de parent. On développe avec le tout-petit une communication inconsciente, une intimité sans égal, qui vous fera trouver la vraie bonne solution qui échappe au professionnel.
Si vous êtes très impliqué dans votre projet, vous vous rendrez vite compte que c’est vous qui êtes le mieux placé pour réaliser les bonnes interventions, dès lors que vous aurez compris quoi faire. Même le meilleur des experts ne connait pas aussi bien le projet que vous ; ce n’est pas son rôle, ni sa compétence. C’est quelque chose que je dis souvent à mes clients : ils sont les meilleurs à leur place, simplement parce qu’ils ont « accouché » de ce projet. Je ne cherche pas à me substituer à eux : je n’écris pas les spécifications, ni ne code ou contribue à leur place. En revanche je suis là en soutien pour leur donner les clés de leur autonomie.
Bisounours go home
On ne va pas se mentir : les soins d’un bébé, ce n’est pas que risettes et calinous (sauf au pays des Bisounours, mais je l’ai pas encore trouvé, sur la carte). Vous aurez à faire des choses pas très ragoutantes, voire carrément dégueu ; mettre les mains dans le ca… dans le cambouis ; appliquer des soins qui vont déchirer votre petit cœur de parent (prendre la température, l’emmener faire ses vaccins…) mais qui sont pourtant indispensables à son bien-être et sa sécurité.
En accessibilité, ne rêvez pas, tout ne sera pas rose non plus. Et personne n’est épargné, pas mêmes les caïds du domaine : voyez-donc par exemple ce que pense Jean-Pierre Villain de la mise en accessibilité de PDF avec Acrobat:
Si tu veux être sur de dégouter kkun de l’access tu lui fait baliser 40 PDF de topo guides avec Adobe Pro #formatdemerde #stopauxpdf
— Jean-Pierre Villain (@villainjp) 17 janvier 2013
Mais il faut bien que quelqu’un le fasse, comme il faut bien faire tous les soins d’un bébé, sans reculer.
La nature a une arme secrète pour amener les parents à dépasser leur répugnance et faire ce qu’il faut : un amour incommensurable pour leur progéniture, dopé à l’ocytocine, l’hormone de l’attachement. Il fallait bien ça pour perpétuer l’espèce.
Pour l’accessibilité, c’est aussi ça le moteur : aimez vos utilisateurs ! Dites-vous que quelque part, un internaute consulte votre site et s’y sent bien accueilli, parce que son lecteur d’écran est correctement alimenté en informations, ou que le focus est bien visible sur les liens qu’il parcourt par petites poussées du doigt sur son clavier adapté. Vous verrez, ça change la vie. Car si rien ne réjouit plus un parent que le bonheur de son bébé, celui de vos internautes vous comblera également !
Tu peux ajouter que les utilisateurs, c’est comme les bébés : ils ne sont pas du tout irrationnels. Tu es gentil avec eux, ils le sont. Cela ne va pas ? Il y a TOUJOURS une raison (le plus dur étant de la trouver dans les deux cas, et parfois, il faut reconnaitre qu’on ne l’a pas trouvée : peut-être ce petit chérubin avait mal au ventre, d’où son côté grognon).
Et le principal moteur : c’est le plaisir de bien faire sans en faire trop, dans les deux cas.
Très vrai!
Ce parallèle est assez fécond, tu en fais la preuve. Il y a quelques autres similitudes que j’avais observées, et que je n’avais pas incluses pour ne pas trop alourdir l’article.
Par exemple: pour Océane nous avions investi dans quantité de produits et gadgets, souvent inutiles, qui ont fini par encombrer nos armoires et nos poubelles. Nous étions des agneaux blancs pour les sorciers du marketing de la puériculture, qui nous fourguaient allègrement des solutions qui n’étaient pas réellement faites pour nous. Avec d’avantage de recul et de discernement, nous limitons maintenant nos achats au juste nécessaire.
On observe le même phénomène avec l’accessibilité: outils de contrôle hors de proportion (et donc de prix), formats alternatifs au prix de la haute couture, solutions « miracles » de génération de versions vocales…
Là aussi, ceux qui savent déjà ont une vraie valeur ajoutée: celle de vous éviter d’acheter ce qui ne vous convient pas.
Bien vu, je le confirme comme triple parents et expert du domaine…
Ceci dit, compter sur l’« Amour » de nos bébés ou de nos visiteurs peut être assez risqué et revient rapidement sur le tapis la question de l’« oubli » des utilisateurs en situation de handicap, qui vivent cet oubli et cette invisibilité depuis le début du Web.
Alors on sort les « avantages » de l’accessibilité, rappelant aux « parents » de ces « bébés » oubliés qu’ils ont des trucs à gagner en image de marque, en clarté, qu’eux-même un jour ils pourraient se retrouver à en bénéficier.
Alors les parents disent que bon d’accord, on veut bien obtenir ces avantages, mais qu’est-ce qu’on doit faire « exactement »?
Alors on pond des standards, des normes, des référentiels, des outils de mesure et on se retrouve avec le thermomètre dans le bain à surveiller au dixième de degré… Les quelques experts auront éventuellement développé le recul nécessaire pour juste y tremper la main, mais entre-temps, on leur demandera de mesurer avec les beaux standards et les beaux outils qu’ils auront contribué à créer! 😉
Alors l’« Amour », ils le garderont pour leur propre petit site ou pour se gausser avec empthie des nouveaux parents prochains. 😉
Salut Vincent, et merci pour le commentaire!
On a un effectivement un double souci avec le Web. D’une part, l’utilisateur reste une abstraction pour la plupart des faiseurs de Web. Rares sont ceux qui en « rencontrent » un (avec une volonté de l’écouter et l’étudier, s’entend), et encore plus rares sont ceux qui ont l’occasion d’observer des utilisateurs en situation de handicap galérer sur un site web. La preuve: il suffit d’observer les réactions d’incrédulité à chaque démo.
Second volet du problème: les utilisateurs eux-mêmes n’expriment que trop faiblement leurs besoins. Un peu comme des bébés qui n’oseraient pas pleurer, de peur de déranger, ou parce qu’ils ont fait l’expérience que ça ne servait à rien…