Deque Systems, l’un des acteurs les plus importants du marché de l’accessibilité numérique, aux Etats-Unis, anime le programme ACE (Accessibility Consultants Engagement). Curieux de ce que cela recouvrait, je me suis inscrit à ce programme, qui comporte notamment un abonnement à une infolettre mensuelle. Autant dire que lorsque Deque m’a contacté pour une interview à paraitre dans le numéro de Septembre 2012, je n’ai pas réfléchi trop, trop longtemps pour accepter.
Voici la traduction en français de cette interview. Enjoy!
Comment êtes-vous arrivé à l’accessibilité?
En 2005, je travaillais comme développeur Web pour une SSII, ici en France. J’ai entendu parler d’une loi toute nouvelle qui rendait l’accessibilité obligatoire pour tout contenu numérique diffusé par les administrations nationales ou locales. Et comme je suis sensibilisé au sujet du handicap depuis mon enfance, j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé ma voie. J’ai convaincu mon manager de monter une offre commerciale autour de l’accessibilité Web. J’ai commencé par une formation solide chez Braillenet, et ai fait de mon mieux pour être impliqué dans un maximum de projets incluant de l’accessibilité!
Travaillez-vous pour une société ou une organisation en particulier?
Depuis Janvier 2012 je travaille pour Qelios, une société de conseil spécialisée exclusivement en accessibilité numérique. Du fait de notre contexte réglementaire, bien entendu nous travaillons pour diverses administrations, à l’échelon national (agences gouvernementales, ministères) et local (régions, municipalités). Mais nous avons également une bonne partie de nos clients dans le secteur privé, essentiellement des grands comptes, de secteurs variés (banques, tourisme, transports…). Nous travaillons également fréquemment en partenariat avec des sociétés de services et des agences Web.
Depuis combien de temps travaillez-vous comme consultant en accessibilité?
Au début, mon précédent job était un mélange d’interventions en gestion de projet, analyse fonctionnelle, développement, et conseil en accessibilité. Progressivement, j’ai réussi à augmenter la part de l’accessibilité jusqu’à ce qu’elle devienne ma seule activité. Je dirais donc que je suis consultant à plein temps depuis 3 ou 4 ans.
A quels challenges avez-vous fait face en tant que consultant accessibilité?
Trop souvent, l’accessibilité est prise en compte a posteriori. Dans ces situations, nous sommes contraints de travailler hors budget et hors planning. Avec le temps, j’ai développé un ensemble de stratégies, que j’appelle injections d’expertise. Le but est de minimiser la durée d’intervention de l’expert, pour un résultat maximal. Nous cherchons à renforcer les compétences de notre client autant que faire se peut, en transférant la connaissance pour les choses où notre valeur ajoutée, en tant qu’experts, est limitée. Et nous évitons de prendre en charge tout ce pour quoi le client est plus compétent que nous. C’est relativement simple d’ajouter une couche de connaissances en accessibilité à quelqu’un qui est déjà performant sur une technologie donnée. L’inverse est rarement vrai.
Quels sont les questions et problèmes les plus fréquents lorsque vous travaillez avec des clients?
« Combien cela va-t-il coûter ? ». Ils veulent tous savoir ! Personnellement j’aimerais que tout le monde comprenne que l’accessibilité n’a pas de prix pour ceux qui en ont besoin, mais bien sûr il faut tenir compte des réalités. C’est une question très légitime, bien sûr, mais c’est pratiquement impossible d’y répondre avec précision.
Pour les taquiner, je réponds parfois par une question provocatrice, comme « combien coûte un site web ? », ou « combien allez-vous gagner avec un site web accessible ? ». Juste pour montrer qu’il n’y a pas de réponse univoque. Ce n’est même pas toujours possible d’isoler les couts purement liés à l’accessibilité. Pour simplifier la question, je considère que les coûts induits par l’accessibilité doivent représenter moins d’un dixième du coût global du projet, pour que cela reste cohérent d’un point de vue économique.
Une autre question trop fréquente est « devons-nous réellement faire cela ? ». L’utilisateur est une abstraction lointaine pour la plupart des gens qui font le Web, et encore plus lorsqu’il a des besoins inhabituels… C’est pourquoi la patience et une volonté profonde de partager la connaissance sont aussi importantes que les compétences techniques, dans ce métier.
Quels problèmes de l’accessibilité, actuellement, vous paraissent les plus intrigants ?
HTML5, à l’évidence. Le mélange de specs instables, d’implémentations diverses dans les navigateurs, d’adoption incertaine par les technos d’assistance, combinées à un paysage Web changeant en permanence, est un cocktail détonnant. Mais c’est également passionnant !
L’accessibilité mobile est un autre sujet fascinant de complexité. C’est comme un saut dans l’inconnu, avec de nouveaux usages et applications qui paraissent réinventés chaque jour. C’est difficile de tenir le rythme – je doute même qu’on y parvienne réellement, avant que quelque chose d’autre se présente !
Qu’est-ce que vous préférez dans l’activité de conseil en accessibilité?
Le fait que cela change des vies. Pour les utilisateurs, bien sûr ; mais aussi pour les gens qui produisent des contenus ou du code en ligne. Pour certains d’entre eux, découvrir l’impact de leur travail sur les personnes en situation de handicap est une révélation. Cela leur donne un but, et une raison valable d’améliorer leur travail. Cela prend soudain un sens de faire des efforts supplémentaires pour proposer une meilleure expérience de navigation pour leurs utilisateurs. J’adore ce moment de prise de conscience, durant les formations ou les ateliers. Ça me donne l’impression d’être utile également …
You should say you have been doing it full time for 3 or 4 years, not since 3 or 4 years ago. Autrement dit, il n’y a pas que le président de la République qui laisse passer des fautes d’anglais. Enfin, d’après mes souvenirs de grammaire anglaise… 😉
Bravo pour tes réponses claires et sans fioritures. Comme réponse provocatrice à la question « combien ça va coûter », j’aime aussi répondre : « combien allez-vous perdre si vous ne le faites pas ? ». Et de dérouler la liste des visiteurs potentiels qui ne viendront pas. Bon, ce n’est pas forcément plus précis, mais plus frappant du point de vue business. On peut aller encore plus loin en demandant : « Etes-vous capables de chiffrer réellement le gain d’une refonte graphique ? ».
Très bon, le coup de la refonte graphique! Ça me rappelle un tweet qui disait en substance: si vous n’avez pas de budget pour l’accessibilité, récupérez ce que vous étiez prêt à dépenser pour avoir des coins arrondis sur tous les navigateurs. Je trouve que ça montre clairement que bien souvent, les gens qui font (et achètent) des sites ont parfois des priorités mal placées…
Sinon, pour le coté « sans fioritures »: ça vient sans doute du fait que c’est en anglais à l’origine… Donc obligé de composer avec un outillage moins fourni que dans ma langue natale. Mais du coup, j’y gagne en sobriété, et je suppose en clarté, étant moins apte à l’effet de style ou à la construction alambiquée. Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on est plus contraint qu’on est moins efficace.
Bravo pour cet interview ! Je rejoins Tanguy sur la sobriété et la clarté de ton intervention.
Savoir pourquoi on se lève le matin ça fait du bien n’est-ce pas ? Cette prise de conscience des clients sur la nécessité de l’accessibilité d’un site est un moment fort en effet en formation !