Jusqu’au 31 octobre 2014, le RGAA 3 beta est en appel à commentaires publics. C’est-à-dire que quiconque disposant d’une adresse e-mail peut poser une question ou émettre un avis sur ce qui deviendra le référentiel officiel de l’accessibilité du Web en France.
La dénomination « beta » n’est pas innocente: elle indique bien que ce document n’est pas terminé tant que tous les avis n’auront pas été collectés, évalués et intégrés.
De mon point de vue, il est très important que tous ceux qui sont concernés par l’accessibilité du Web prennent connaissance de ce document, et participent à sa finalisation. Je vais vous en exposer 3 raisons, mais avant cela, une PMPP.
Petite Mise au Point Préliminaire
Le RGAA 3 beta est le fruit d’un processus de maturation entamé il y a près de 2 ans. En effet, pour tenir compte de l’évolution du Web, BrailleNet entama alors, pour son référentiel AccessiWeb, le développement d’une version intégrant HTML5 et ARIA. Largement appuyé sur la version précédente, il a été élaboré selon la même méthode: rédaction initiale par un noyau dur d’experts, soumission pour affinage à un cercle restreint d’experts référents, puis mise à l’épreuve du terrain au travers du GTA (Groupe de Travail AccessiWeb), c’est-à-dire les plus ou moins 500 personnes qui ont été formées et certifiées à l’application du référentiel depuis sa version 1.
Le SGMAP (Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique) a lancé, fin 2013, une consultation pour la nécessaire mise à jour du RGAA 2.2.1. Un groupement incluant BrailleNet et Qelios, respectivement maître d’ouvrage et maître d’œuvre du référentiel AccessiWeb, a proposé de repartir de ce dernier pour en faire le RGAA 3, mettant en avant de l’efficacité technique et économique de cette solution. Arguments entendus puisque ce groupement (comportant également ACS Horizons, Meanings, Smile et V-Technologies) remporta le marché.
Le processus d’élaboration prévoyait un appel à commentaires publics (la phase actuelle au moment de rédiger ces lignes), ce qui est assez classique. Plus original, le groupement proposa un premier tour de soumission au GTA, sur une version qu’on aurait pu appeler alpha. Le commanditaire accepta cette idée, et en juillet 2014 environ 80 volontaires inscrits au forum de consultation ont découvert le futur RGAA et ont activement contribué à son évolution (voir le billet de Jean-Pierre Villain détaillant ce qui a résulté de cette consultation).
L’histoire de ce référentiel est donc celle d’un travail collectif, en strates plus ou moins larges selon le stade d’avancement et le type de contributions. Et s’il est vrai que les strates étaient fermées jusqu’à présent, cette fois-ci tout le monde y a accès. Sans compter que le document socle, AccessiWeb HTML5/ARIA, est disponible gratuitement depuis fin 2013, ce qui a laissé la possibilité de l’étudier et de le tester en amont, tandis que la page officielle du RGAA annonçait cette évolution depuis le printemps 2014.
De façon assez prévisible, plusieurs critiques ont circulé sur ce processus et la phase de commentaires publics, notamment sur Twitter. J’ai tenté d’y répondre à l’occasion, mais en 140 caractères moins les alias des personnes concernées, pas simple… Donc il faut bien comprendre que la phase actuelle n’est plus celle de l’écriture, ni du débat autour de tel ou tel point technique, ce que décrit très bien ce billet d’Armony Altinier. Mais bien celle de la soumission à tous d’un document quasiment abouti, et qui peut encore être amélioré sur les détails.
Et voici pourquoi.
Parce qu’il le vaut bien
Le RGAA est plus qu’un simple document. C’est la pierre angulaire de la politique de mise en œuvre de l’accessibilité Web de l’État. Accessibilité Web qui, rappelons-le, est une obligation légale pour tous les services publics en ligne.
Pour les professionnels de l’accessibilité, c’est évidemment LA référence qui s’imposera à eux dès lors qu’ils voudront vérifier la conformité d’un site Web aux standards internationaux d’accessibilité. Certes on peut toujours s’appuyer sur les WCAG 2.0, sources de ce RGAA, mais il suffit de les avoir pratiquées un peu pour comprendre qu’une méthodologie de vérification telle que le RGAA est la bienvenue. C’est d’autant plus central qu’AccessiWeb, qui a été traditionnellement l’alternative au référentiel officiel, devient, de fait, redondant. BrailleNet ne s’est pas encore positionné officiellement sur son devenir en tant que référentiel. Mais parmi tous les scénarios possibles, peu militent en la faveur d’un maintien en activité, d’autant que le RGAA 3 couvrira le périmètre à la fois d’AccessiWeb HTML5/ARIA et AccessiWeb 2.2 (la version « HTML4/XHTML » la plus à jour).
Pour les professionnels du Web, ce sera un outil de travail incontournable, d’autant plus s’ils travaillent pour une clientèle publique, tant au niveau local que national. Et à moins qu’AccessiWeb perdure sous une forme ou sous une autre, il intéressera aussi tous les types de clients, publics ou privés, qui voudront rendre leurs services en ligne accessibles.
Pour les acheteurs et éditeurs de services en ligne publics, bien sûr, la réglementation imposant son application, la connaissance de son contenu sera nécessaire, ne serait-ce que pour vérifier la conformité des livraisons de leurs fournisseurs, et des productions de leurs propres équipes.
Pour les utilisateurs, et leurs représentants (associations, syndicats, responsables du personnel, maîtrises d’ouvrage, etc.), il définira la norme en matière d’accessibilité. Et même si les professionnels font leur travail, ceci implique que ce qui n’y est pas inscrit aura peu de chances d’être mis en place.
Donc, oui, nous avons tous intérêt à ce que ce document soit aussi abouti que possible. Le cœur du référentiel, la partie technique, est relativement ardue, surtout pour un public non averti. Mais les documents Introduction au RGAA et Guide d’accompagnement ont une portée plus large, et ne requièrent pas de compétence technique pointue. C’est sur ces parties, à mon sens, que les utilisateurs et leurs représentants sont attendus, d’autant que ces documents n’ont pas été élaborés selon le processus collaboratif décrit ci-avant.
Des mises à jour sont prévues, cela fait partie du marché. Mais à ce jour les modalités et la fréquence de ces mises à jour n’ont pas été annoncées. Les informations que j’ai, concernant les acteurs de ce projet, me donnent beaucoup d’espoir sur le suivi et l’évolution du RGAA 3 (une des grosses faiblesses de son prédécesseur, laissé quasiment à l’abandon depuis sa publication en 2009). Néanmoins, il vaut mieux s’assurer que tout soit en place dès le début, plutôt que de s’en remettre à plus tard.
Parce que vous le valez bien
C’est écrit sur la page de l’appel à commentaires: « L’ensemble des commentaires seront analysés par un groupe d’experts internes à l’administration, piloté par la DISIC. La version finale du RGAA v3, intégrant les commentaires jugés pertinents, sera ensuite soumise à validation auprès des instances réglementaires. »
Donc les commentaires seront traités, et impacteront le RGAA 3 si cela est jugé adéquat. L’engagement est pris, et d’ailleurs, deux semaines après la mise en ligne du formulaire, la page Questions/Réponses comporte déjà quelques retours.
Parmi les réactions négatives mentionnées plus haut, il y avait l’idée que cela ne servirait à rien parce que les remarques n’allaient pas être prises en compte. Posture paradoxale: comment prouver que le système ne fonctionne pas si on ne l’utilise pas? Une fois le délai de commentaires passé, que restera-t-il à ceux qui ont refusé de commenter, à part des doutes et des regrets? J’affirme que la seule attitude réellement constructive est de commenter, et tant qu’à faire avec des arguments valides, ce qui ne devrait pas être difficile si l’on est sûr d’avoir raison…
Pour ma part, c’est ce que j’ai fait. Il y a des aspects qui me posent question dans ce RGAA, j’ai donc pris le temps de les faire remonter. Pourtant, étant salarié d’une des entreprises du groupement, partie prenante sur le projet, et proche du principal rédacteur ainsi que du chef de projet, j’aurais pu utiliser des voies parallèles. Mais je me plie à cette procédure car je considère que c’est la seule qui soit égalitaire. Ainsi je m’assure également que mes remarques passent par le circuit officiel et seront donc lues et analysées par les décisionnaires finals.
Parce que nous le valons bien
L’accessibilité n’est pas un sujet comme les autres. J’ai eu maintes fois l’occasion de le dire et de l’écrire, je le refais ici: à l’origine de l’activité professionnelle qu’est l’accessibilité, il y a une conviction, celle qu’il faut changer le monde. Et faire son possible pour que ce monde – et donc, le Web – soit meilleur pour toutes les personnes qui en ont été écartées depuis toujours, du fait d’une déficience ou d’une autre.
Avec une telle profession de foi, il va de soi qu’on n’aborde pas l’accessibilité Web comme d’autres sujets, comme les performances ou le référencement. Les enjeux sont plus profonds, plus personnels. Et du coup, les gens qui s’impliquent pour l’accessibilité, tant à titre personnel que professionnel, y mettent une passion et un engagement que l’on retrouve rarement ailleurs.
Ceci fait de nous (je dis nous parce que j’en fais partie) une communauté à part. Et cette dimension particulière doit être exprimée et révélée aux commanditaires du projet. Ils en ont eu des signes forts avec la mobilisation du GTA, et la richesse des échanges qui en ont résulté. Il faut maintenant prouver que la communauté de l’accessibilité numérique va bien au-delà du seul GTA, qu’elle est vigilante, et attachée à ce que tout soit mis en œuvre pour se rapprocher d’un Web idéal: celui où tous les internautes sont traités à égalité, quelque soient leurs aptitudes et leurs capacités. Bref, du Web tel qu’il a été pensé par ses créateurs.
Alors ne manquez pas ce rendez-vous, faites entendre votre voix, celle des utilisateurs et celle de la communauté!