Si vous vous lancez dans la mise en accessibilité d’un projet Web, sans trop y connaitre grand-chose au début, vous risquez de passer par plusieurs stades émotionnels très contrastés : enthousiasme euphorisant ; inquiétude croissante ; panique envahissante ; frustration abyssale ; colère légitime. Car si l’accessibilité est une discipline simple à l’échelle du test, elle peut être méchamment complexe à l’échelle d’un projet.
Et parce qu’il n’y a pas vraiment de méthode universelle et infaillible pour réussir à tous les coups, on va devoir y aller un peu à l’aventure. Heureusement, vous n’êtes pas obligé d’y aller seul. Si vous vous représentez cette situation comme un naufrage sur une ile déserte et hostile, alors vous trouverez en l’Expert Accessibilité le gars à qui on ne la fait plus, qui vous audite les points d’eau en y trempant le doigt, pêche des balises avec un fil et du chewing-gum, et vous taille la route à travers jungle à grands coups de machette ML (oui, bon. Pardon).
Maintenant, comme pour les chasseurs, il y a le bon Expert Accessibilité, et il y a l’autre. Si vous tombez sur ce dernier, il vous faudra le reconnaître, et vite. Une fois démasqué, collez-lui une bonne droite (ou une gifle, ou un mawagashi selon votre préférence). Et si vous détectez dans son regard torve un air interrogatif, dites-lui que c’est de ma part. Il comprendra.
Voici 5 signes qui ne trompent pas.
« C’est comme ça » : un expert qui à toutes vos questions, vous répond que c’est dans le référentiel… lâchez-vous.
« Ne me quitte pas » : si un expert fait manifestement tout pour verrouiller la prestation, par exemple en ne vous proposant jamais de transfert de compétence, c’est qu’il n’a pas assez confiance en lui ni en vous pour vous aider à voler de vos propres ailes. Alors, pied gauche en avant, légèrement penché, transfert du poids vers l’épaule droite, poignet ferme, et tchac.
« Démerde-toi » : si ses audits sont une litanie de constats d’échec, sans aucune préconisation, je ne vois pas pourquoi vous n’enchaîneriez pas avec une gauche juste après.
« C’est pas dans le bouquin » : s’il vous oppose une fin de non-recevoir parce que votre projet sort des clous du référentiel ; genre, il est codé en HTML5… Visez la pommette, c’est plus joli comme résultat.
« On verra après » : si vous le consultez en début de projet, et que tout ce qu’il vous propose, c’est un audit après la mise en prod… pas d’hésitation. Maintenant, si c’est vous, en tant que client, qui lui imposez d’attendre la fin du projet pour le laisser y mettre son nez… Alors, debout devant un miroir, main droite levée et ouverte ; grand mouvement ample vers la joue ; et paf. Vous l’avez bien mérité.
NDA : le ton de cet article est inspiré du comic 5 very good reasons to punch a dolphin in the mouth. Je vous recommande ce site, il vous procurera une hilarité teinte d’un plaisir coupable et passablement anxiogène.
Excellent c’est tellement vrai ! Petite précision que m’oblige la féministe qui est en moi : l’Expert Accessibilité peut aussi être une fille à qui on ne la fait plus…cf » l’Expert Accessibilité le gars à qui on ne la fait plus » [sourire]
Moui… 😀
« C’est comme ça » : j’ai un peu de mal avec l’idée que nos interventions ne se feraient pas, comme cela doit être convenu dès adoption de la démarche accessibilité, dans les limites imposées par un référentiel donné. Il m’arrive de répondre, en effet, que c’est comme ça parce que le référentiel X adopté comme référence commune dit que Y. En cela, je fais juste mon travail. Après, évidemment, mon travail est aussi de dire qu’il peut y avoir des raisons de ne pas faire ce que dit le référentiel, pourquoi et comment, avec quelles conséquences. Mais en bref, je ne pense pas qu’il soit très pertinent de commencer à démolir les référentiels et leur prise en compte.
Dans le même ordre d’idée, « C’est pas dans le bouquin » me semble un peu léger. C’est en amont que la question se pose. Si vous découvrez tout à coup en cours de projet que vous n’aviez pas prévu, et que l’expert n’avait pas deviné, que vous alliez faire des choses pour lesquelles l’outillage fait défaut… C’est qu’il fallait y penser avant. Ce qui ne préjuge pas de la capacité nécessaire de l’expert à s’adapter à l’inattendu. Mais bon, pour ma part, j’ai une sainte horreur des surprises.
A part cela, c’est tout plein de choses bien vues, cette humeur 🙂
Merci pour ton commentaire!
Précisons d’emblée que même si, par malheur, ce texte devait être pris au premier degré par un client, tu ne serais pas parmi ceux qui doivent craindre pour leur intégrité physique!
S’il fallait décrire cet article en un mot, « provoc » serait un bon candidat. Il est sorti tout seul, sur une impulsion, et c’est sans doute celui qui m’a pris le moins de temps à écrire! Donc les arguments sont, et je l’assume, taillés à la serpette. Du coup ça donne aussi place au flou.
Pour les points que tu relèves: en fait je fustige là l’auditeur qui se planque derrière une règle qu’il ne comprend pas forcément. Je suis un grand défenseur des référentiels, car ce sont des outils indispensables, et éprouvés, pour réduire les coûts de l’accessibilité — que ferions-nous sans eux?? Sans doute pas grand-chose. Notre art se trouverait alors réservé à quelques clients fortunés et visionnaires, tendance mécènes. Autant dire que peu s’y risqueraient.
Donc le problème n’est pas de coller au référentiel; mais d’y coller sans savoir réellement pourquoi. Je suis parfois en situation de défendre un critère qui paraît bizarre au client. Dans ces cas-là, soit je suis capable d’expliquer à quoi et à qui ça sert, soit je dois me remettre en question. La situation de blocage arrive lorsqu’on cherche à imposer un critère qu’on ne sait pas justifier: on passe alors pour un emmerdeur patenté, guidé par l’arbitraire. Jamais une bonne position pour convaincre et faire adhérer.
Pour la surprise en cours de route: en fait je pensais surtout au gars (ou à la fille, hein, je voudrais pas froisser Audrey de nouveau! ^^) qui rejette un développement qui ne cadre pas avec ce qui est écrit en clair dans le référentiel. Si on a vu ça souvent pour Flash par le passé, on va le voir arriver pour HTML5. Alors, oui, c’est pas une bonne nouvelle de découvrir après le devis qu’on va devoir inventer des tests, mais ça fait justement partie des choses dont on se prémunit lors d’un cadrage sérieusement mené.
argh, ce blog n’offre pas de prévisualisation avant envoi final du commentaire… Vade Retro Satanas. J’avais l’intention d’écrire « choses bien vues », évidemment 😀
hu hu! C’est tout le charme du direct!
Comme je fais ce que je veux sur ce blog, j’ai corrigé 😉
encore mieux que de l’audiodesc ces explications de gestes amples 😉
On pourrait aussi décliner l’idée pour le client qui veut faire de l’accessibilité pour de mauvaises raisons. J’y réfléchis pour mon prochain billet.
Tout simplement excellent ! Et le passage sur le HTML5 est tellement vrai… 🙁
Est-ce qu’il suffit de citer Jakop Nielsen et l’Opquast pour effrayer ce genre d’expert ? Le syndrome « Ne me quitte pas », comme les autres points, s’applique également au projet web « tout court », sans avoir besoin de parler de mise en accessibilité 😉
À propos du signe « ne me quitte pas », il ne pas oublier que, parfois, voire assez souvent, l’expert en accessibilité est sollicité en fin de projet seulement, une fois la mise en production effectuée et au moment où le client a envie d’engager une procédure de labellisation. Dans ce type de situation, le transfert de compétence ne peut avoir lieu, puisqu’il est trop tard, si j’ose dire ; ou bien, un tel transfert est tenté, mais donnera l’impression d’une extinction de feux plutôt qu’un transfert produisant du fruit qu’on pourra cueillir bien mûr. Autrement dit, ce type de situation, générateur de frustration potentielle, a de quoi donner à l’expert l’envie d’en coller une au client.
Tanguy, je parie que tu songes, entre autres, à ceux qui se penchent sur l’accessibilité par le biais du référencement. Dans ce cas, n’oublie pas qu’Olivier a déjà opposé René SEO et Robert Accessibilité dans un précédent billet (http://accessiblog.fr/2011/12/accessibilite-et-seo-amies-ou-ennemies/). 😉
Oui, d’ailleurs l’auto-baffe au client en fin d’article est là pour rappeler cette évidence: plus vous tarderez à faire intervenir l’expert, plus vous vous en mordrez les doigts. Et n’allez pas dire ensuite que l’accessibilité coûte cher: ce qui coûte cher, c’est le manque de prévoyance.
non ce qui coute cher c’est le manque de compétences car c’est lui qui entrainent toutes ces situations y compris le manque de prévoyance ;).
Hum…
La question n’est pas de savoir si le mauvais expert (c’est de cela dont il s’agit) va ou pas se réfugier derrière l’argument d’autorité du référentiel, ni de savoir s’il sait ou non justifier un critère.
Elle est de savoir s’il fait ou non son boulot d’expert, qui est de permettre une décision dans un projet. Un expert accessibilité n’a en fait jamais à se défendre ou à défendre son référentiel (c’est le référentiel convenu en commun qui le légitime, à l’inverse).
Sa légitimité est dans son assistance à la décision, qui est indifférente au pourquoi du critère dans l’absolu : créer pour son client les conditions de cette décision, en donnant connaissance des tenants et des aboutissants opérationnel dans le contexte concerné.
Par exemple, je n’ai pour ma part jamais rien compris à la légitimité des critères WCAG sur les contrastes de couleurs s’agissant de ce qui dépend de CSS. Cela ne m’a jamais empêché de les asséner comme argument d’autorité à mes clients (c’est comme ça parce que c’est dans WCAG), comme tout le monde, et de leur permettre de prendre des décisions lors du maquettage pour gérer la chose.
Excellent, excellent! 🙂
Pour ma part, j’ai déjà eu envie de coller une droite à un expert accessibilité sur un point très précis : un manque total de pédagogie doublé d’une prise à parti en public à mon égard. Oui rien que ça ^^
J’avais même écrit sur le sujet http://www.nicolas-hoffmann.net/source/1341-Je-hais-les-donjons-et-le-populisme.html
Être en totale incapacité de dire aimablement « attention, vous avez fait une erreur ou un oubli ici » pour me sortir en public un « votre site est bon à jeter aux orties et vous avec »… c’est selon moi un bon motif d’une droite dans la tronche 🙂
Surtout qu’il n’y a selon moi pas besoin d’être un génie de la communication pour être… disons aimable. Pire, cela dessert totalement la cause en question.
Des noms! Des noms! Des noms! 😉
L’objet premier de cet article est, on l’aura compris, de décrire en creux ce que je pense être la bonne approche. Mais le parti-pris de l’agressivité, c’est aussi une façon de rappeler que l’expert, quelque soit le domaine, n’est pas forcément le détenteur d’une Vérité Tombée d’En Haut. D’autant qu’en accessibilité, on parle d’experts auto-proclamés… (avec le recul je regrette d’avoir utilisé le mot « expert » dans l’article, « consultant » aurait été moins connoté). Donc on a le droit de le challenger, de demander des explications et de proposer d’autres solutions. Si c’est très agaçant lorsque l’excès conduit à ralentir tout le monde, c’est aussi un facteur de progrès et de plus grande rigueur dans la pratique du métier.
J’adore ! Merci Olivier pour ce billet défouloir, il m’a bien fait rire !
J’ai régulièrement envie de massacrer quelques « experts » en accessibilité, pas plus tard que dernièrement 😉
Mais également certaines agences qui expliquent à leurs clients qu’ils doivent renoncer à certaines fonctionnalités « pour des raisons d’accessibilité », sans autre explication. Tiens, paf !, prends ça dans la tronche !!!