Le 16 novembre 2012, l’ADULOA, Association Des Utilisateurs des Logiciels Opsys Archimed (progiciels ciblant les médiathèques et bibliothèques) a organisé une journée d’étude consacrée à l’accessibilité des portails documentaires. Cette journée faisait suite à une démonstration de la navigation Web par une personne non-voyante, faite lors de la dernière Assemblée Générale par Hélène Kudzia, bibliothécaire à la Médiathèque Marguerite Duras (Paris). Cette démo a suffisamment frappé les esprits pour que le Président de l’association, Michel Berthet, assisté de Nicolas Andry et Damien Robillard, organisent toute une journée consacrée au sujet. Hélène a de nouveau fait une démo. Denis Boulay, de BrailleNet, a ensuite présenté les aspects réglementaires qui s’imposent aux établissements rattachés à une collectivité territoriale. J’ai été pour ma part invité à présenter la dimension technique de l’accessibilité des portails Web. Enfin, des représentants de la société Archimed ont présenté les avancées de leurs solutions logicielles sur le plan de l’accessibilité (présentation à laquelle je n’ai malheureusement pas pu assister).
Plein la vue
Une démonstration de navigation en lecture vocale est toujours un moment fort. Quand c’est réalisé avec pédagogie et ce qu’il faut d’humour, c’est juste incontournable. Ce fut le cas avec la présentation d’Hélène, où elle a montré un large éventail des difficultés rencontrées sur des sites de bibliothèques. Ces sites font partie de ses outils de travail (dans le cadre de sa mission, Hélène assiste les usagers déficients visuels lors de leurs recherches d’ouvrages ou de médias), et malgré son aisance avec le lecteur d’écran, il était clair que certaines pages étaient juste impraticables. Moi qui suis un peu habitué à la chose, je ne me suis pas ennuyé une minute. Et il était évident qu’il en était de même pour les gens qui étaient en découverte, dans la salle. Et si les sites présentés étaient très spécialisés, les questions de l’assistance ont permis de parler de l’usage d’internet au quotidien : peut-être plus que d’autres, les personnes handicapées ont besoin du Web et de ses services dans leur vie courante, pour travailler, acheter, se divertir, communiquer, partager, s’informer… autant d’activités rendues singulièrement – et injustement – compliquées par manque d’accessibilité.
La démonstration a mis en évidence le besoin de structures dans les pages, qui plus est de structures cohérentes avec le contenu, et homogènes d’une page à l’autre, et au sein des pages. Un exemple frappant : dans une même page, des données similaires a priori étaient contenues dans des tableaux de données de structures différentes. Ce qui pose un problème de compréhension à l’utilisateur : il doit redécouvrir un nouveau schéma de lecture pour le second tableau, alors qu’il vient juste d’en comprendre un sur le premier.
Quand on connait le dessous des cartes, on sait que c’est un cas typique où le développeur a choisi une manière de coder qui l’arrangeait, par rapport à sa contrainte immédiate : coller à la maquette graphique, créée et validée sur des critères visuels, et non sémantiques. Cette approche à l’envers est celle que l’on traine encore, 20 ans après la naissance du Web, parce que les graphistes et designers qui ont investi le médium Web à ses débuts, étaient issus du monde de l’impression, où le visuel est figé. Aujourd’hui on peut (et on devrait) concevoir en partant du contenu, le structurer en conséquence de ses utilisations, puis l’habiller. Mais on se rend compte que bien souvent, on s’obstine à partir de l’habillage, et à y faire rentrer des contenus au chausse-pied. Puis le codeur doit se débrouiller, avec la pauvreté de moyens qui fait le sel de son métier, pour rendre ça homogène graphiquement sur tout un tas de navigateurs turbulents. En façade, tout va bien : ça correspond avec ce que le client via le designer avait souhaité sur le plan visuel. Mais en coulisses, là où l’utilisateur de lecteur d’écran pioche ce dont il a besoin, c’est moins reluisant.
Je digresse, je digresse… Mais bref, vous l’aurez compris, c’était une excellente démo, où tant le spécialiste que le débutant avaient des choses à ramener à la maison.
RGAA Express
Denis Boulay avait la délicate mission de traiter un sujet aride au possible : la dimension réglementaire de l’accessibilité en France. Inévitablement, on a parlé référentiels, RGAA en tête, et ses modalités d’application. Mission remplie haut la main, d’autant que c’est resté très pédagogique, et l’expérience de Denis a fait le reste.
Les nombreuses questions de l’assistance ont montré, si besoin était, que le sujet inquiète autant qu’il questionne. Que risque-t-on? Faut-il vraiment tout faire? Quels formats doit-on favoriser? Le HTML5, je peux? Et si on fait une version texte, c’est bon?
Ces questions sont une des raisons pour lesquelles ce type de manifestations est indispensable : en découvrant la question de l’accessibilité, passé le premier choc, on se projette inévitablement, et d’emblée, des termes effrayants comme « problématique », « contrainte », viennent à l’esprit. C’est normal, et compréhensible. C’est le rôle de ceux qui sont susceptibles d’y répondre, de le faire avec humilité, simplicité, et pragmatisme. D’une certaine manière, aussi, de dédramatiser et de rassurer. Cela permet, de plus, de savoir où sont les points de malentendu potentiels, et de les travailler en amont.
Gilbert Montagné, Dark Vador, et des pingouins
J’ai été invité à présenter l’aspect technique de la mise en accessibilité des portails. J’étais face à un dilemme… Comment, en une heure, couvrir un sujet dont on peut débattre des jours durant, face à un parterre de gens qui auront a priori toutes sortes d’expériences de la technologie, sur une échelle variant de rien à tout ? J’ai pris très vite mon parti de ne pas chercher à faire l’impossible, à savoir donner tout le trousseau de clés d’une opération de mise en accessibilité d’un portail, et de revenir à une présentation plus introductive qu’opérationnelle.
Il y avait alors deux écueils : être trop vague et prendre le risque du malentendu ; et être trop précis, et prendre le risque d’embrouiller les esprits, et disons-le, d’être chiant comme la pluie.
Fort heureusement, j’étais informé du contenu des présentations de mes deux prédécesseurs, et j’ai pu échanger avec les organisateurs en amont. Du reste, je vous conseille de le faire systématiquement, ça limite fortement les risques de hors-sujet et de redondance.
Du coup, une fois évacuées l’opération coup-de-poing-pleine-face grâce à Hélène, et la partie juridico-administrativo-prise-de-tête grâce à Denis, j’ai pu me concentrer sur d’autres aspects de la question. En particulier, un sujet qui me tient à cœur : rappeler ce qui est le fondement et la raison d’être de l’accessibilité, à savoir l’utilisateur en situation de handicap. Handicap, le mot est lâché. Comme cette notion est empreinte de flou pour la plupart des gens, j’ai tenu à rappeler les nuances entre déficiences et handicap ; à montrer que s’arrêter à cela ne nous informait pas assez finement sur les difficultés et les aptitudes des utilisateurs ; et qu’au final nous devions nous méfier de nos préjugés.
Ce qui me permettait d’embrayer sur la partie dure de la discussion : les référentiels et les bonnes pratiques. Forcément, il fallait être synthétique, et rester à la surface des choses, d’où la description uniquement de quelques bonnes pratiques emblématiques. La démo du matin m’a grandement facilité la tâche : en rappelant certaines des difficultés présentées par Hélène, je pouvais faire le lien directement avec les bonnes pratiques présentées.
Enfin, j’avais tenu à aborder un sujet un peu tabou mais qui intéresse tout le monde, celui du coût. Combien tout cela coûte-t-il, et comment minimiser la douloureuse ? Là encore, impossible d’apporter des réponses précises, chaque cas étant particulier ; néanmoins, il y a des pistes de travail que j’espère avoir exposées avec clarté.
Pour cette présentation, et après m’être remémoré celles qui m’avaient plu récemment, j’avais décidé de mettre une dose d’humour, tant dans les diapos que dans mes commentaires. Pas que je sois un pro de la vanne, mais sur un sujet a priori assez plombant, injecter quelques gouttes de recul et de dérision permet de détendre l’atmosphère. Et, mine de rien, de faire passer plus facilement et plus durablement les messages. Probable que certains se rappelleront plus facilement que deux utilisateurs aveugles utilisant le même matériel n’ont pas forcément les mêmes besoins, parce que je me suis amusé à faire dialoguer Gilbert Montagné et Stevie Wonder. Qu’on peut être un grand asthmatique et réussir une belle carrière, après avoir vu Dark Vador surgir sur l’écran. Et que des pingouins peuvent tout-à-fait servir à illustrer le chiffre 3 (et oui, je sais, ce sont des manchots empereurs en réalité, mais ça sonnait moins bien pour le titre).
La présentation peut être visualisée sur SlideShare. Je vous recommande toutefois de la télécharger pour la regarder en diaporama, il y a quelques effets d’animation qui permettent de se rapprocher des conditions de la restitution. J’ai également produit une version plus accessible au format .DOC, stockée sur Google Drive, et qui peut être téléchargée dans son format natif (CTRL + S).
Un mot sur l’organisation
Les présentations étaient toutes transcrites à la volée par une équipe de vélotypistes professionnels, et des interprètes en langue des signes étaient présents. J’ai trouvé cela remarquable, pour une manifestation à usage interne qui plus est. Par ailleurs, j’ai été rémunéré pour mon intervention, ce qui est encore assez rare dans notre domaine pour être signalé. Chapeau donc aux organisateurs pour leur initiative, et le sérieux de leur engagement sur l’accessibilité !
Merci pour ce billet Olivier. Pour ma part, je me tiens prêt à assurer « la partie juridico-administrativo-prise-de-tête » autant de fois qu’il le faudra (sourire), ne serait que pour encourager ce type d’action de sensibilisation menée par l’ADULOA. Un grand bravo à eux.