L’un des nombreux articles de l’excellent blog de Bertrand Keller m’a interpelé ce matin. Intitulé La vitesse de chargement plus importante que l’esthétique, il rapporte les conclusions d’une étude selon laquelle le problème numéro 1, pour les internautes mobiles, est la vitesse de chargement. Loin devant l’apparence du site, même si elle pose des problèmes de lecture et d’utilisation.
C’est un résultat bigrement intéressant, qui relativise grandement les priorités que l’on assigne aux « faiseurs de sites », à commencer par le graphiste (ou webdesigner, ou bidouilleur photoshop selon les us et coutumes du coin). De fait, la grande majorité des acheteurs évaluent les propositions de design sur la base des critères qu’ils sont capables d’appliquer. Je ne parle pas des équipes structurées avec des maîtres d’ouvrage, des consultants ergonomes, des spécialistes de l’UX et tout le toutim, mais des petits projets où, en gros, c’est le maire/patron/responsable comm/mec-qui-passait par-là qui se retrouve avec la responsabilité de valider la livraison. Et la plupart du temps, son référentiel se réduit à « j’aime » ou « j’aime pas ». Et encore, c’est la version optimiste: un bon « vendeur » saura faire accepter une semi-bouse à un acheteur hésitant, en allant piocher dans sa liste des arguments bidons (celles qui est fournie avec le PC portable et le smartphone à l’embauche). Pour être honnête: j’extrapole, car je n’ai pas une expérience statistiquement recevable de ce genre d’opérations. Mais je m’appuie sur le constat simple que le Web des petits sites à vocation professionnelle est quand même un monument vivant au mauvais goût et à la médiocrité. Si.
Alors je rêve d’assister à cette réunion où un graphiste sera challengé sur l’impact en bande passante/temps d’accès à l’info de ses choix esthétiques et techniques implicites… « votre maxi-menu, là, c’est quoi son empreinte en kb et en temps processeur, hmm?
« .
Non pas que je sois un intégriste de la perf (quoique…), mais en tant qu’emmerdeur qu’intervenant patenté sur l’accessibilité, je me sentirais moins seul dans le camp des « tueurs de créativité », « empêcheurs de flasher en rond », et autres gentillesses. Quand on prend un peu de recul, c’est quand même hallucinant que ce médium soit autant mené par une offre aussi négligente des besoins des utilisateurs.
Mais si on y réfléchit, il y a peut-être une raison simple à cela. J’ai lu un jour que l’accessibilité du web était plus difficile à intégrer intellectuellement (émotionnellement?) par les propriétaires de sites que par ceux des boutiques de la vie réelle, parce qu’un webmaster n’a jamais à faire face réellement aux gens qui pâtissent de ses manquements; contrairement au vendeur qui voit une personne en fauteuil roulant galérer avec la marche à l’entrée, et qui va devoir l’aider et parfois encaisser les reproches et la culpabilité… Et ça m’a paru très crédible. On a sans doute une piste, avec ça.
Tant que les créateurs de Web s’adonneront au culte des œillères (si confortables et pratiques, faut le reconnaitre), les utilisateurs seront les grands oubliés du Web. Il faut changer cet état de fait, et apprendre aux faiseurs de Web à comprendre leur prochain, dans toute sa diversité. Ça devrait faire partie de notre ADN, de notre éducation, et de notre fierté de faire ce métier. Récemment, j’expliquais que, dans les priorités d’un projet Web, la satisfaction utilisateur doit toujours primer sur la difficulté d’une correction ou d’une évolution. En gros, ne pas privilégier son confort au détriment de celui de l’utilisateur. Aux protestations naissantes j’ai répliqué que si les constructeurs automobiles avaient systématiquement privilégié la facilité de fabrication à la satisfaction client, la mythique Traban est-allemande serait un modèle de réussite. Si les voitures d’aujourd’hui sont aussi travaillées et orientées vers le confort et la facilité d’utilisation, c’est parce que les utilisateurs ont demandé voix au chapitre, et valident en achetant les choix proposés. Pas de place pour les feignasses dans ce système…
Alors, un jour, qui sait, on s’intéressera réellement à ce que veulent les gens, sur le Web, et on travaillera dans ce sens, et uniquement dans ce sens… (eh oui, c’est le printemps, jai l’optimisme en fleurs).
C’est un problème que tu soulèves : honnêtement, j’ai toujours été convaincu de produire du code valide et de faire de gros efforts en matière d’accessibilité, mais sans avoir la possibilité de voir ce que ça implique, c’est parfois compliqué d’évangéliser et même de se motiver à aller chercher les aspects les plus pointus.
Un exemple très simple : je me posais la question de la réelle utilisation des liens d’évitement (aller au contenu, aller à la navigation), et un fait exprès, j’ai pu suivre une conférence à Chambéry où on m’a « montré » mon propre site personnel sans écran avec une synthèse vocale, Jaws pour ne pas la citer.
Et surtout on m’a montré comment quelqu’un naviguait avec, pas comment moi je devais m’en sortir avec une synthèse vocale.
Ce petit exemple a été incroyablement instructif et agréable : déjà, je voyais que mes efforts avaient un réel impact sur la navigation au clavier, et j’ai compris pas mal de concepts. Curieusement, c’était même un moment de fierté de se dire : « ah, je n’ai pas fait ça pour rien ! ». D’ailleurs, depuis ce jour-là, je les mets partout où je peux, et je fais ch… mes collègues pour qu’ils le fassent (entre autres).
C’est *con* à dire, mais… donnez-nous des sourds, des aveugles, des malentendants, des malvoyants, des gens dans le plâtre, etc. ! Montrez-nous ! Mais les handicapés, ce sont nous… les concepteurs de sites. 🙂
Parole de graphiste. Ou de webdesigner. Ou peu importe l’appellation 😉
Je plussoie. Je suis confronté quotidiennement au « j’aime/j’aime pas » de clients dont la plupart sont scandalisés lorsque je leur réponds « On s’en fout de ce que vous aimez ou pas : l’important c’est ce que vos visiteurs aiment car ce sont eux qui vont utiliser votre site. » Je répète cette phrase à mes clients parfois plusieurs fois par jour. En vain.
Je suis censé être le « créatif » et mes clients sont souvent décontenancés de se retrouver face à quelqu’un qui leur parle contraste, accessibilité, ergonomie et autres considérations « invisibles » alors qu’ils demandent simplement « on avait imaginé un grand bandeau avec des images qui défilent, c’est possible ? ». Je leur demande s’ils visitent un site pour regarder défiler un bandeau ou bien pour trouver une information. Et je passe les demandes de « boutons en forme de papillon » ou autres horreurs. Je confirme : le bon goût n’est pas très répandu.
Ca n’est jamais évident de convaincre. Surtout lorsqu’on n’a pas une ou deux personnes en face de soi mais douze ou quinze, un « comité » souvent composé d’élus qui ne connaissent rien au web voire n’ont jamais touché ordinateur. Pire encore lorsque dans la bande se trouve un spécialiste qui « sait » ce qu’est un site, il a d’ailleurs fait lui-même le site de son association…
Chaque site est une bataille. Et des compromis.
Tout ça pour dire que ça n’est pas sur la tête du graphiste qu’il faut taper car c’est grâce à lui que le web échappe souvent au pire 😉
Je peux que souscrire à tout qui est dit ici. Le côté ingrat et souvent invisible des efforts mis dans l’accessibilité, l’absence de considération pour les visiteurs des sites web. J’ai eu un moment pour projet un site web qui aurait pour fonction de proposer aux internautes de voter pour le pire site en matière d’accessibilité d’ergonomie et de valeur ajoutée ; un peu à la manière des « nanards » qui récompense les pires films de l’année.
Projet abandonné car la liste des sites serait trop longue 😉
Par contre, le commentaire de Nico me donne envie de mettre en valeur ceux qui font des efforts et sont frustrés de ne pas savoir à quel point ils rendent service. Donc l’idée serait de mettre en ligne des démos de navigation par un aveugle, sur des sites qui font des efforts. Implique une petite logistique vidéo, mais ça me paraît jouable avec deux ou trois bonne volontés.
Quant aux bonnets d’âne, ils ne valent même pas la peine qu’on parlent d’eux.
« un webmaster n’a jamais à faire face réellement aux gens qui pâtissent de ses manquements »
Mais a t-il, ne serait-ce qu’une fois, su que les gens pâtissaient de ses manquements ?
Selon ton expérience Olivier combien de clients t’ont contacté en te disant qu’ils avaient un site que les utilisateurs trouvaient difficilement utilisable et qu’il fallait y remédier ?
Combien de fois, quand toi le technicien, tu as fait la remarque par mail, on t’a répondu oui on sait vous n’êtes pas le premier à nous le dire ? Moi jamais.
Y a t-il quelque part une statistique sur le nombre de retour sur les sites qui posent problèmes ?
J’ai récemment utilisé http://www.w3.org/WAI/users/inaccessible pour faire part des problèmes que posait le site d’un grand festival de musique de ma région, en expliquant qu’en activant la fonction high contrast sur windows je perdais tous les menus (la méthode du text-indent qui tue), la réponse a été sans appel ils n’y pouvaient rien et cela était sûrement dut à la mauvaise configuration de mon ordinateur et qu’en aucun cas ce n’était leur faute.
Autre exemple, 200 tabulations pour accéder au menu d’un quotidien en ligne de ma région mais je dois être le seul à leur avoir fait la remarque. Quel poids je peux avoir si je suis le seul à faire la remarque ?
Quand ces 2 sites auront reçu 200 mails pour les différents problèmes que leurs sites posent, ils commenceront peut-être à réfléchir et s’inquiéter.
Pour reprendre l’exemple d’Olivier, un bâtiment avec des marches pour une personne à mobilité réduite c’est tout de suite inutilisable et bloquant alors que pour un aveugle, un site web avec des formulaires mal foutus c’est utilisable, plus long mais utilisable.
Partant de ce constat, va t-il communiquer sur ce point, vu qu’il a tout de même réussi à utiliser ce formulaire ?
Est-ce que les associations sensibilisent sur l’accessibilité, qu’un site accessible doit être conçu de telle ou telle manière et poussent leur membres à réagir en masse quand un site ne fait pas le nécessaire ?
Comme je l’ai récemment mentionné sur twitter, et cela a toujours été ma position depuis 2005, il manque pour moi un maillon essentiel pour faire avancer l’accessibilité, l’utilisateur qui par ses actions créera le besoin et vaudra largement, je pense, toutes les argumentations et autres articles sur les bénéfices de l’accessibilité.
A ma connaissance, à part le projet de Tanguy et un autre abandonné, depuis bien longtemps qui inclut les principaux intéressés, il n’existe que des projets faits par des professionnels pour les professionnels et gérés par les professionnels.
Sortons de ce cercle vicieux et recentrons nous sur l’utilisateur, impliquons-le à grande échelle dans un projet du même type que celui de Tanguy.
Un formulaire à l’initiative de http://web-pour-tous.org est présent ici : http://www.crapulescorp.net/questionnaire_accessibilite_sites_internet.php5
Peut-être que celui-ci une fois remanié pourrait être un point de départ ?
Article intéressant.
Si vous voulez présenter vos travaux ou en parler sur mon forum, celui dans ma signature, vous êtes les bienvenue.
Et si vous avez des remarques sur celui-ci j’essayerais d’y répondre.