Pour le Web, il est temps de sortir de l’amateurisme

En lisant un fil de discussion sur la liste Accesstech, à propos de First Step, liste de bonnes pratiques d’accessibilité initiée par Aurélien Levy, j’ai éprouvé le besoin de réagir. Je vous invite d’ailleurs chaudement à lire l’article sur le blog de Temesis qui introduit First Step, et à contribuer au workshop si vous en avez la possibilité. Cette liste vise à recenser le minimum de ce qu’il faut savoir pour coder accessible pour le web. Comme l’a très bien résumé Yves Convert sur ce même fil de discussion: elle propose une liste de critères en deçà desquels la valeur ajoutée d’un expert accessibilité est discutable.

Pour résumer ce qui m’a titillé: certaines réponses, pourtant par des gens qui sont loin d’être des billes, indiquaient une crainte qu’une liste d’apparence aussi massive soit rebutante, et du coup rejetée à l’entrée d’un projet. Pas forcément par eux-mêmes, mais par les décisionnaires sur le projet. Mais rappelons-nous qu’une mauvaise décision n’est généralement que l’enfant d’une mauvaise information (quelqu’un a dû dire ça bien mieux que moi, mais c’est l’idée qui compte). Et ce billet vise à vous encourager à être la source plutôt que le barrage des bonnes pratiques, vous, les néo-prolétaires du Web (attention, contient des traces d’Arlette Laguillier).

Précision sans doute utile, manière de dire que je sais par quoi vous passez au quotidien, et compatis: j’ai commencé dans le web comme développeur en SSII. Ce qui veut dire que j’ai fait à peu près tout, et surtout n’importe quoi, puisque comme chacun sait, les gens qui, en SSII ou agences, placent les ressources sur les projets, n’ont aucune idée de ce que en quoi consiste leur travail. Ils n’hésitent donc pas à faire faire le carrelage aux électriciens, et l’isolation du toit aux décorateurs d’intérieur. Je suis donc passé par ces phases honteuses où j’ai produit un travail indigne d’un professionnel, mais pour une bonne raison: je n’étais pas un professionnel dans le domaine considéré (que ce soit en programmation de bases de données, admin de serveur web, montage HTML… j’en passe) avant de finir par apprendre, à l’arrache, et avec beaucoup de souffrance et de sueurs froides.

Et je crois que tout le problème est là. On parle ici d’une liste de bonnes pratiques où on nous explique, pour filer la métaphore, que la peinture ne sert pas à étanchéifier les éviers, et qu’une vis cruciforme se visse avec un tournevis cruciforme. Je caricature à peine, c’est bien ce genre de choses que la liste First Step propose. Et c’est normal de ne pas être à l’aise avec ces bases-là si on est débutant dans le domaine. Mais si c’est notre boulot, alors là, pas d’excuses qui tienne. Je conçois parfaitement qu’on puisse ne pas savoir ces choses, un temps donné. La toute première fois qu’on est face à une étagère en kit d’origine suédoise, on fait pas le fier… mais dès la seconde, sauf à avoir resetté le cerveau, on ne se pose plus 36 questions. On fait, point.

Pour une immense part, les gens qui produisent du Web à titre professionnel, et qui donc vendent cette production, sont, dans les faits, des amateurs plus ou moins avertis. Certains sont consciencieux et appliqués, mais beaucoup sont joyeusement incompétents (disclaimer: je me considère moi-même comme un amateur pas franchement doué, mais je me différencie peut-être par le fait que je ne me contente pas de ce que je sais ou crois savoir). Or, comme pas grand monde n’est en mesure de contrôler la qualité de la production, et surtout pas ceux qui l’achètent, hormis en vérifiant qu’on a bien des coins arrondis sur les boutons sous IE6, tout le monde se satisfait de cela. Sûr que tant que le cash rentre, ça n’incite pas à voir plus loin…

Ça n’aide pas non plus de ne pas avoir de vraie filière de formation aux métiers du web – non, il n’y en a pas. Des initiatives locales, privées, ponctuelles, oui, mais pas de cursus digne de ce nom. Les modules ou cours dispensés dans les écoles et universités sont, au mieux, loin de la réalité de pratiques et métiers sans cesse en mouvement; au pire, des chambres d’écho pour les mauvaises pratiques propagées à coup de copier-coller par des enseignants encore moins soumis au contrôle que leurs étudiants dans leur futur job.

On me dit souvent que tout ça n’est pas bien grave, ce n’est que du Web après tout, y a pas mort d’homme. Sauf qu’il y a quand même des sommes énormes en jeu. Pas uniquement celles qui sont dépensées aujourd’hui, mais celles qui seront engouffrées à l’avenir pour réparer le fruit des incompétences accumulées; celles qui résulteront des pertes de productivité, d’efficacité, de confiance des utilisateurs/consommateurs; des pertes directes, financières et matérielles, suite à des malversations, avaries, maladresses, etc., qui n’auront pas été prévenues par la qualité intrinsèque des systèmes. Tout le monde s’accorde à considérer la qualité des infrastructures d’un pays (routières, télécom, énergie, financières, etc.) comme capitales pour sa compétitivité, et, partant, pour le bien-être de sa population. Si ces infrastructures étaient à l’image du Web, croyez-moi, ce serait un beau bordel. Un jour nos dirigeants finiront par comprendre que le Web est une infrastructure à part entière, de plus en plus vitale. Et alors on formera des bataillons d’ingénieurs, façon Napoléon quand il a compris que les ponts et les chaussées seraient les vecteurs de son triomphe. Mais on en est encore loin.

Comme je suis focalisé sur l’accessibilité, on me rajoute souvent, « bon, ok pour la sécurité, la robustesse, toussa, mais bon, l’access, c’est moins grave, hein, c’est pour 5-10% des utilisateurs, alors, bon ». En général c’est à partir de ce moment-là que je m’enflamme.

Qu’une seule personne soit exclue d’un service, en soi, c’est problématique. Si cette exclusion résulte de l’incompétence du producteur du service, c’est juste inacceptable. En plus, hormis le déni de démocratie manifeste que cela induit, sur un plan plus terre-à-terre, c’est une connerie à grande échelle. Jugez plutôt…

Pertes financières colossales: il suffit de songer au coût de la non-autonomie (j’aime pas le mot dépendance, trop associé à la passivité), tant en compensations qu’en perte de production et consommation. Lisez l’article E-commerce et handicap d’Elie Sloïm, il est éloquent, je ne pourrais que le paraphraser.

Pertes en forces de travail: tiens, justement, le secteur informatique est chroniquement en situation de pénurie de ressources qualifiées. Or c’est l’un des secteurs où, pour en exercer les métiers, le handicap est le plus gérable, voire transparent. Sauf qu’il faut en garantir les conditions de faisabilité technique, autrement dit: leur accessibilité.

Pertes en contributions culturelles, intellectuelles, sociales, dont nombre de personnes handicapées sont capables, mais empêchées techniquement. Songez à Stephen Hawking, astrophysicien, dont les travaux seront peut-être à la base de l’énergie de nos petits-enfants. L’un des plus brillants cerveaux qui soient, dans un corps qui ne marche plus, ou si peu. Coup de chance pour l’humanité, on a accès à sa pensée via un reste de mouvement dans le petit doigt, converti en discours grâce à des technologies d’accessibilité. Pour un Hawking, combien de millions d’esprits réduits au silence et à l’anonymat parce que le monde n’est pensé que pour les valides?

(Bon, je vous avais prévenus, c’était le moment où je m’enflamme).

Vous pouvez aussi lire Le Web, monde hostile, billet que j’avais publié sur mon ancien blog, où tout cela est imagé par des analogies prises dans le monde réel pour expliquer ce que signifie un Web inaccessible, pour les utilisateurs concernés.

J’ai sans doute l’air de brosser un tableau pessimiste de la situation. Cependant je crois fermement que tout n’est pas perdu, au contraire. Quand on observe les travaux de certains, on se dit qu’il y a de l’espoir. En tous cas, le changement doit venir des faiseurs de web, avant qu’on leur reproche d’avoir su et de n’avoir rien fait (genre, l’amiante). Les architectes d’intérieur n’hésitent jamais à expliquer à leurs clients que le papier peint à 2 euros de plus le rouleau ne cloquera pas aux premiers frimas (file, petite métaphore, file comme le vent). Il n’y a pas de raison qu’on ne fasse pas pareil avec nos clients, en commençant par nos chefs de projet, directeurs artistiques, commerciaux, et autres maillons intermédiaires entre nous et le produit final. Je sais, c’est fatiguant, lassant, frustrant, et parfois risqué. Rappelez-vous, je suis passé par là. Mais dites-vous bien que vous le faites avant tout pour vous. Pour la satisfaction élémentaire qui résulte d’un travail dont on peut être objectivement fier, pourquoi pas. Mais aussi et surtout pour protéger votre job à moyen terme. Sans la valeur ajoutée que procurent l’expertise et la qualité, qu’est-ce qui vous différencie d’un codeur qui habite dans un autre fuseau horaire, avec un salaire 10 fois moindre? Rien, à part le salaire, et ça va pas dans le bon sens pour vous.

Bien sûr, le prérequis est que l’on sache de quoi on parle. Alors, hop, on se retrousse les manches, on s’infuse les bonnes pratiques, en se rappelant que ce n’est pas quelque chose qu’il faut faire « en plus », mais « avant tout ».

Je suis bien conscient que ce billet chatouillera certaines susceptibilités. Pas de lézard, c’est voulu. Pour vous faire réagir, témoigner, et pourquoi pas, proposer des pistes. Alors, à vous, maintenant.

28 réflexions au sujet de « Pour le Web, il est temps de sortir de l’amateurisme »

  1. Bravo, Olivier, pour le rappel de l’absence cruelle de formation digne de ce nom aux métiers du Web, surtout de formation spécifique au métier d’intégrateur (X)HTML / CSS (pour la plupart des autres métiers du Web, c’est moins criant, à mon avis). Cela me rappelle une phrase que j’ai lue il y a quelques mois sur un forum (dans une discussion qui traitait, justement, de la recherche d’une formation assez spécifique) : « Ceux qui savent faire le font, les autres l’enseignent. »

    Cela dit, sans doute par volonté provocante de bien noircir le tableau, tu oublies que des formations sérieuses émergent, comme celles dispensées par Braillenet autour du référentiel Accessiweb ou la formation d’expert en accessibilité dispensée par Temesis, qui, d’ailleurs, s’allie à Braillenet pour les formations au RGAA, sans compter le diplôme universitaire d’accessibilité du Web délivré par l’Université Pierre et Marie Curie (de niveau Bac+3 si je ne dis pas une bêtise). Même si elles ne touchent que l’accessibilité, elles ont le mérite de sensibiliser à ce domaine et d’inviter, ne fût-ce que par le biais de l’évaluation de l’accessibilité d’un site Web, à se tourner vers de bonnes pratiques susceptibles d’avoir un impact sur d’autres domaines annexes, par exemple sur la façon qu’a un intégrateur de coder.

    Enfin, tu dis : « le secteur informatique est chroniquement en situation de pénurie de ressources qualifiées ». Là, j’avoue que je suis d’autant plus intrigué par une telle affirmation que je crains que ton propos ne soit interprété comme un propos un peu hasardeux qui n’est pas sans rappeler le discours servi régulièrement par des dirigeants de SSII qui parlent d’une pénurie (plus fantasmée que réelle) de ressources pour justifier un système gangrené par un turn-over soutenu et des abus de diverses sortes, autrement dit le genre de discours dénoncé par certaines organisations comme le Munci. Afin de lever toute ambiguïté, il vaudrait mieux mettre en exergue l’adjectif qualifié, parce que le secteur informatique, entendons-nous bien, n’est pas en pénurie tout court, loin de là : les ressources se ramassent à la pelle ; mais, ce qui pose problème, c’est qu’assez souvent, on tombe sur des charlots, voire sur des profils qui affichent sur leur CV des mots comme « accessibilité » pour tenter de prendre une place au soleil, si j’ose dire, mais ne savent pas ce que cela signifie vraiment ou se disent qu’ils verront plus tard pour les qualifications réelles.

    1. Tu as raison concernant la qualité des formations citées. Mais pour moi elles rentrent dans la catégories des initiatives privées et/ou isolées. Il n’y a pas à ma connaissance de cursus complet, et diplômant, comme on en trouve en comptabilité, dessin industriel ou action commerciale. Pourtant, on a largement autant, voire plus de technicité dans le web que dans ces domaines. Inversement il est absurde de recruter des jeunes diplômés à Bac+5 pour du montage HTML/CSS, ni même de la programmation back-end. C’est largement de la sous-exploitation de potentiel, ou plus exactement de la mauvaise exploitation.
      Pour la question de la pénurie… sans doute un débat passionnant et bien plus large que ce que peut contenir ce blog, mériterait d’être lancé. De ce que j’en ai vu, le marché est assez tendu, tant parce que la gestion des ressources en SSII ne favorise pas la fidélité, que parce que les attentes des employeurs sont souvent déraisonnables. Des propositions de postes restent insatisfaites, car tout bonnement, personne n’est en mesure de coller au poste, pour un salaire bien souvent très en-deça du niveau exigé…

  2. Ça va faire dix ans que j’entend ce discours – le web c’est pas pour les stagiaires – et ça me fait toujours sourire quand je vois les demandes qui affluent au quotidien. (« Bonjour, je voudrais un site de e-commerce pour 500 EUR »). Il y a manifestement une incompréhension (de la valeur ajoutée) de nos métiers.

    D’ailleurs en France on a toujours pas compris l’importance d’investir dans le web, d’où ce côté amateur encore très présent.

    En tant que professionnels, on voudrait tous que les sites web soient de meilleure qualité, qu’ils soient mieux conçus, plus ergonomiques, plus accessibles, plus performants, etc.

    On voudrait tous pouvoir faire correctement notre travail.
    Ce n’est pas toujours possible malheureusement (cf. l’expérience en SSII d’Olivier).

    Le fossé se creuse entre les pros et les amateurs, ça va très vite, dans beaucoup de domaines et c’est pas prêt de s’arrêter. L’avenir est à la spécialisation comme dans les autres corps de métier.

    Pour ne pas laisser tout le monde à la traîne, des outils essaient de limiter la casse et pour l’accessibilité Opquast, Ocawa, Tanaguru sont très utiles de ce point de vue.

    Quand on voit que WordPress, Drupal font tourner près d’1 site sur 5, on se dit que la solution doit venir quand même en partie des outils.

    Même chose pour des frameworks JS ou CSS. Ces outils sont conçus par de vrais pros et mis à disposition de tout le monde.

    Les contextes actuels de production font qu’en effet il faut sortir de l’amateurisme, à savoir de continuer à vouloir développer sans recourir à des outils conçus par des pros, quand on ne l’est pas soi-même. Et c’est ce que font beaucoup de gens.

    Il reste encore les fameuses bonnes pratiques à suivre, qui ne sont malheureusement pas encore enseignées en cours.

    Evangéliser c’est bien, même si c’est toujours compliqué de convaincre les incrédules.

    Fournir des outils bien conçus, qui font faire une partie du boulot c’est bien aussi pour les « amateurs », qui existeront toujours de toute manière.

    Bienvenue dans l’industrialisation de la qualité 😉

  3. Encore une fois, te voilà à défendre les thèses développées par le philosophe Bernard Stiegler.
    Il parle de prolétaire quand tu n’as pas d’action de réflexion sur ce que tu fais (découpeur de PSD) et évoque le réenchantement le monde en développant la culture de l’amateur, celui qui manipule.
    Il faut certes être exigeant, mais nous avons un problème avec nos élites (et le système éducatif qui les forme) en France qui prétendent savoir diriger sans jamais n’avoir travaillé.
    Il y a une baisse de la valeur d’autorité (celui qui sait, le maître) au détriment d’une hiérarchie à la solde du capital (je peux aussi faire du Laguillier).
    Oui pour continuer à monter en compétence pour défendre le web, mais cela n’est pas suffisant à mon avis.

  4. Pour commencer si certains informaticiens ou dévs cessaient de troller sur « le HTML n’est pas un langage », sous-entendu on peut le prendre comme ça par dessus la jambe, nous aurons fait un grand pas (Olivier s’enflamme, moi je monte la sauce :p).

    Ma (dé)formation première de linguiste me fait répéter sans cesse qu’un langage informatique (oui oui même celui du troll) a une grammaire, une syntaxe, une sémantique et qu’il parait donc logique de la respecter au même titre qu’une langue humaine (comparaison Ô combien mal venue dans ces temps de laisser-allers orthographiques dus aux SMS… Passons). Comment peut-on négliger à ce point les aspects fondamentaux d’une langue quelle qu’elle soit ? Commencer par savoir « écrire cette langue » est pour moi le « first step » primordial. J’ai travaillé fut un temps avec des informaticiens chargés de faire des pages « oueb » qui ne connaissaient même pas les principales balises (« Euh c’est quoi la balise H1 dont tu parles »… Vécu). Ils réalisaient leurs pages à grand coup de Dreamweaver en en tenant compte que du rendu graphique : « Bah quoi de toute façon ça s’affiche » (remarque entendue plus d’une fois). Le WYSIWYG qu’on se le dise une bonne fois pour toute : c’est TRÈS bien lorsqu’on maîtrise le langage.

    Je dis toujours à mes développeurs qui me posent des questions sur l’accessibilité : « Faites du code standard et au moins 70% du boulot est fait ». Et le HTML n’est pas vraiment complexe à apprendre. Solution simpliste diront certains, mais efficace. Testé et approuvé lors d’une grosse refonte récente (avec des développeurs Java).

  5. Un grand merci pour ce coup de sang. Je vais relayer ton billet car, tu t’en doutes, en tant qu’utilisateur handicapé, je ne peux que souscrire pleinement à ta force de conviction et à tes arguments factuels dont le plus percutant, je crois, est celui de la différentiation d’un codeur français vis-à-vis d’un autre payé au lance-pierre et travaillant en batterie comme on engraisse les poulets.
    J’aime aussi la notion d’infrastructure qui devrait être de la même qualité que celles des routes et autoroute dont on dit qu’elles font la compétitivité d’un pays. Dans les moments de découragements ou je m’entends dire comme toi que l’accessibilité, « ça passe après » ou « c’est secondaire », je rêve de voir les décideurs en question être en galère, ne serait-ce qu’une semaine pour accomplir toutes ses tâches sur le web. Et puis, quoi qu’agnostique, la bonne vieille morale judéo-chrétienne reprends le dessus en chuchotant « tu ne peux pas souhaiter le pire, même à tes ennemis ». Alors, j’enfourche à nouveau mon cheval de bataille et vais montrer aux intéressés (comme à ceux qui le sont moins) ce que c’est que d’être bloqué dans une démarche administrative ou l’achat d’un cadeau à faire à quelqu’un qui m’est proche, par exemple, pour un simple Flash mal codé ou une information mise en image et non commentée.
    Et bien qu’aveugle, ‘apprécie le fait que tu aies pris comme exemple Hawking, un handicapé moteur et non un handicapé visuel. En effet, les deux grands handicaps de l’accessibilité, c’est d’être invisible à ceux qui voient et d’être encore associé à un site en noir et blanc, sans image, sans Flash bling-bling, moche quoi ! Mais il faut se battre et jouer sur le terrain de ceux qui décident, quitte à employer des arguments parfois à la limite du fallacieux, du moins difficilement démontrables : référencement, réduction de bande passante, fidélisation des visiteurs et j’en oublie…
    Personnellement, je rêve d’un portail style csszengarden mais qui démontrerait qu’on peut faire beau et accessible. Parce que la galerie AccessiWeb c’est bien, mais je ne crois que ça fasse kiffer grand monde. Je rêve aussi du moment où l’on enseignera cette matière à part entière dans toutes les écoles informatiques (ingénieur, UIT, graphique ou développeur) sans exception, et qu’elle fera l’objet d’un module et non d’une option. Ce n’est pas un combat communautariste, mais un choix de société. Voulons-nous nous priver d’un pans entier de la population (sa créativité, son autre regard, sa capacité d’adaptation à des situations difficiles, sa ténacité) sous prétexte qu’elle ne répond pas à des canons de performance toujours plus oppressants et dont on sent bien qu’ils font des dégâts chez les « non invalides ». J’emploie à dessein ce terme pour parodier et souligner l’incongruité du langage politiquement correct qui vise à qualifier une personne handicapée par un terme négatif. Non-voyant, par exemple est une expression dans laquelle je ne me reconnais absolument pas. Je ne suis pas « non quelque chose » ! je ne me définis pas comme étant « non quelque chose ». Cela peut paraître de l’ordre du détail sémiologique, mais est révélateur de la perception que l’on a encore des personne en situation de handicap. A contrario, voici une autre expression du politiquement correct qui me convient mieux « en situation de handicap ». En effet, si vous avez déjà expérimenté le dîner dans le noir, là c’est vous la personne handicapée, pas moi. De même devant un ordinateur et dans des conditions réunies, je peut être à égalité, voir plus « performant » que d’autres qui ont la vue mais sont complètement perdus s’ils n’ont pas leur chère souris.
    Bref, pour moi il y a encore beaucoup à faire. Ne baissons pas les bras !
    Donc encore merci !
    Bien à toi
    Tanguy

    1. Merci pour ton témoignage et ton soutien, Tanguy. Comme je te l’ai dit en privé, tu es la première personne que j’ai vue utiliser un lecteur d’écran, lors de la formation Accessiweb que tu animais à l’époque. Et le choc et la révélation que cette expérience a provoqués, ont définitivement scellé ma motivation à ne pas me contenter d’un web qui laisse de coté une partie des gens. Je te suis donc moralement redevable de ce que j’ai fait ensuite. Quand j’ai un coup de mou, je repense à cette formation, ou à d’autres contacts que j’ai eus avec des gens qui, comme toi, galèrent pour faire des choses qui ne devraient pas poser de problème, si tout était fait comme il faut…

    2. Merci Olivier pour ce billet très intéressant.

      Merci Tanguy pour votre extraordinaire témoignage! Je me suis permis de le reprendre dans une discussion que j’ai mise en ligne (http://minu.me/5sjd) dans le groupe Accessibilité du Web au Québec dans LinkedIn.

      Yves Hudon
      Modérateur, groupe Accessibilité du Web au Québec, LinkedIn
      Responsable de l’élaboration et corédacteur des trois standards SGQRI 008 du gouvernement du Québec sur l’accessibilité du Web (disponibles ainsi que 9 guides d’application à http://minu.me/5sgs)

  6. À mon sens, il ne faut pas trop blâmer les écoles ou les formations : étant intégrateur, je vois bien la vitesse démentielle à laquelle le métier évolue.

    Un exemple : Jquery mobile sort en version 1.0 finale début décembre, je le teste entre fin décembre et le début de cette année, et on l’a déjà proposé à un client il y a quelques jours. Bonjour le train d’enfer !

    À mon avis, il faudrait plutôt dans les formations expliquer aux intés… comment se former et se tenir au jus. Pour cela, je ne vois qu’un credo : « vigilance constante ! » comme dirait Maugrey Fol Œil ! (et oui, on ne peut pas toujours citer Balzac ou Flaubert)

    Ceci dit, je constate moi aussi une certaine forme d’amateurisme : même HTML et CSS, pourtant considérés comme langages « faciles », sont mal maîtrisés. Je ne demande pas d’être une brute à un nouveau, mais être incapable de comprendre ou de chercher à comprendre ce que je vais lui expliquer, c’est inacceptable. Sur les gros projets que j’ai pu rencontrer, heureusement que l’intégration suivait, car bonjour les angoisses si ce poste est défaillant ! Beaucoup de points capitaux d’un projet (performances, accessibilité, maintenabilité, version mobile, etc.) en dépendent. Pas exclusivement, mais ça pèse dans la balance !

    Reste que je crains également un web à deux vitesses : ceux qui se sont préoccupé de la qualité et qui pourront intégrer (gag !) les nouveautés de manière cohérente, les nouveaux enjeux, etc. Et ceux qui rameront derrière.

    1. Le web est peut-être jeune, mais ce n’est jamais qu’une branche de l’ingénierie logicielle, et ça existe depuis plus de 50 ans. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles dès qu’on met les pieds dans le web, on oublie tout ce qu’on savait avant. Le niveau d' »inculture », en matière de programmation, de certains, laisse pantois. J’ai vu des choses… j’en tremble encore. Bizarrement, les vrais challenges techniques que pose le développement front-end ne semblent pas attirer les meilleurs talents, qui préfèrent optimiser une base de données ou concevoir une architecture multi-redondante, load-balancée comme une formule 1, et disponible à 99,999% même par grand vent.
      Que le domaine bouge très vite, d’accord. Mais comme tu le dis toi-même, les fondamentaux, HTML et CSS, ne sont toujours pas maîtrisés, on parle pourtant de choses qui existent depuis 15 ans. Qu’est-ce qui justifie qu’un enseignant ne sache pas transmettre ce qui constitue la base des bases, et ce depuis le début des temps ? Clairement, il faut apprendre à apprendre, mais on ne peut pas dire qu’on n’a pas déjà de la matière. La vraie clé est sans doute plutôt à chercher vers ce qu’évoque Nathalie : l’idée de coder du HTML agite la glande à snobisme de gens qui ont été formatés à croire que Java est le langage des Dieux, et que le reste tâche les doigts… (ah, au fait, les wannabe devs : Java c’est pour les noobs, codez en Perl ou en Python quand vous serez grands).
      Anecdote aussi rassurante que préoccupante: un ex-collègue, monteur HTML/CSS de première bourre (coucou Yves!), est intervenu, pour une fois, en amont, et a mitonné un lot de gabarits aux petits oignons. Son chef a reconnu que cela avait eu pour effet de faire gagner beaucoup de temps en aval, pour l’intégration (au sens insertion du code serveur). C’est préoccupant, car ce constat n’a été fait que très récemment, par quelqu’un qui aurait dû être conscient de cela depuis toujours… bon, on va dire que mieux vaut tard que jamais…

      1. Assez d’accord sur la « glande à snobisme », mais il n’y a pas que ça.

        Je vois deux choses :

        1. Le HTML, CSS, JS sont encore perçus comme des langages « non-nobles », rien n’a changé en gros depuis « Le web c’est pour les stagiaires » (2004) http://www.cybercodeur.net/weblog/articles/art_20040606.php

        Rassurons-nous en disant que malgré tout de plus en plus de frémissements de changement et de constats que ce n’est pas la bonne approche arrivent. J’entends de plus en plus souvent des témoignages comme ceux de ton ex-collègue, et ça ne reste pas réduit au cercle de convertis qu’est Paris Web.

        2. Ce n’est pas évident d’enseigner nos langages front, parce qu’ils évoluent très vite. Je dirais à la louche que depuis que je suis dans le métier (1999) on a déjà vu deux ou trois révolutions (montages en table vs CSS-based layout, JS « à la papa » vs scripting DOM, notamment). Même des choses simples comme le design adaptatif : on sait le faire depuis plusieurs années avec JS (c’est ce que j’ai encore chez moi parce que je dors la nuit) et depuis 1 an on voit du responsive design avec des media queries fleurir partout.

        Ajoute à ça que les gens qui enseignent les langages front, en école, sont le plus souvent des profs de Java qui ne connaissent pas les enjeux de la couche front (performance, accessibilité, pour ne citer que ces deux-là) et qui voient le HTML comme ils voyaient Swing : un sous-produit de la couche métier.

        Là encore je veux être optimiste, de plus en plus d’écoles font appel à des professionnels (j’en connais) pour enseigner la couche front.

        1. D’accord avec toi. Ce qui me gêne dans la situation actuelle, c’est que le Web à l’ancienne reste enseigné avec autant de désinvolture qu’à l’époque où on ne se rendait pas bien compte du problème que ça posait. Et ce même s’il y a des frémissements (c’est dommage, un électrochoc aurait été préférable, mais bon, frémissons, en attendant mieux). Que l’enseignement ne soit pas à la pointe des dernières avancées, admettons (encore que), mais que les bases ne soient pas ce qu’elles devraient être… à savoir des bases, c’est très préoccupant.
          Je dis « encore que », car il y a d’autres domaines de l’enseignement où l’on fait face au progrès constant des métiers, pourtant on n’y baisse pas les bras. Je viens de la conception de produits industriels, après une formation initiale aux techniques de production. J’ai fait régulièrement appel à des techniques innovantes, collaboré avec des labos, des universités, des entreprises de pointe. Chaque fois que je replongeais dans mes cours de fabrication, je constatais avec surprise que ces innovations m’avaient été présentées avec pertinence pendant mon enseignement (faut dire que je séchais pas mal de cours — oops, grillé). Tout n’était pas égal dans toutes les matières, et les moyens étaient limités dans certaines, très coûteuses en équipement. Mais je n’ai jamais eu l’impression d’être totalement déphasé par rapport à la réalité industrielle.
          Ce souvenir me fait penser qu’on tient peut-être une piste: ces cours de fabrication étaient dispensés par un prof retraité de l’industrie, mais passionné comme au premier jour (si vous me lisez, M. Kerouaut, je n’ai jamais eu l’occasion de vous remercier; voila, c’est fait). J’ai toujours considéré que les meilleurs enseignants, pour les matières techniques, étaient les professionnels aimant leur métier. Double problème dans le Web: 1. il faut les trouver (comment les reconnaître, quand on n’a pas de référentiel de compétences clair?); 2. il faut leur dégager du temps et les sortir de leur 18 missions en parallèle, toutes en retard de 6 mois depuis 1 an. Wow. C’est pas gagné…

          1. Ça commence à venir, on se rejoint : des professionnels passionnés.

            J’ai donné des cours deux ans de suite dans une école, mais j’ai arrêté quand je me suis rendu compte qu’on allait me payer l’équivalent d’une demie-journée de salaire pour une journée de formation avancée vendue comme « expert ». Mais c’est une autre histoire… 🙂

          2. Ah, voila, on touche au problème de fond. Le web brasse des sommes gigantesques, mais elles ne sont pas dévolues à la production (ni à la constitution des structures de formation, par extension). On dirait que c’est dans son ADN. Suffit de voir comment les start-ups des années 2000 ont craqué les économies des investisseurs du dimanche en marketing et en pub, au-delà du raisonnable, sans même penser à juste créer un produit viable.
            Ça me rappelle aussi des clients qui se plaignaient de ne pas avoir de ressources accessibilité complètes et gratuites sur le web. Toute la panoplie, ils voulaient, de « WCAG expliquées à ma concierge » à « Modèle multiplexé et transfiguratif d’implémentation récursive d’Accessiweb 4.0 pour tablettes ». Ma réponse a été: « Ok, pas de problème, payez-moi 3 mois de prestations, je vous fais ça ». Ça a coupé court à la conversation.

        2. Je ne pense pas que l’évolution rapide de nos langages soit au cœur du problème. Il y a peu de professions aujourd’hui qui n’évoluent pas rapidement du fait de l’informatique et du Web, et il me semble tout aussi nécessaire de changer notre façon d’enseigner le Web que d’enseigner beaucoup d’autres domaines. Il s’agit non plus d’enseigner sur la base du par-cœur, mais d’apprendre à apprendre.

          Dans le cadre du Web, ça peut se traduire par plusieurs fondamentaux.

          1. L’anglais. Si j’embauchais aujourd’hui, ça serait mon premier critère (au niveau junior, potentiellement le seul critère). Si tu n’as pas le niveau pour te maintenir renseigné, pour poser des questions sur une liste, pour collaborer dans un bug, pour échanger dans une conférence ce n’est pas la peine. Ce n’est pas une question d’accent ou de perfection grammaticale, mais simplement de pouvoir « s’en sortir correctement ».

          2. Les bases de l’architecture. Qu’est-ce que ça veut vraiment dire de séparer la présentation et le contenu? Si demain le HTML devient caduque et qu’il te faut styler un document XML arbitraire, tu comprends ce qui se passe? Qu’est-ce qui se passe dans une URI? C’est quoi HTTP et comment ça marche? Si je te donne trois minutes de formation au VBScript, tu sais me manipuler un DOM? Quels sont les problèmes et solutions d’accessibilités indépendants de la technologie utilisée? Quels sont les composantes du device independence? A quoi ressemble une bonne API JS et pourquoi? Quel est le modèle de sécurité d’un navigateur? Comment lire une spec? Quelles sont les limites de REST? Etc. L’idée est de former des gens qui ne sont pas tout perdus quand on passe du XHTML au HTML5, et qui comprennent tout de suite ce qu’il se passe quand on leur change une brique, ou encore qui ne se noient pas s’ils utilisent jQuery et que ça ne marche pas comme documenté.

          Et il n’y a pas que l’enseignement du Web pour les pros du Web qu’il faut changer — il faut aussi s’attaquer à l’enseignement du Web pour les autres. Une de mes plus grosses frustrations, et en partie la raison pour laquelle je ne fais plus de production par delà le prototypage, c’est que trop de clients ne voient pas la différence entre un site de qualité et une horreur inutilisable (enfin il la voient quand c’est le site des autres, mais pas le leur). Tant qu’il n’y aura pas une « culture » de la production web du coté des donneurs d’ordre, il n’y aura aucun mécanisme permettant aux personnes les plus compétentes de se distinguer des pires SSII. Il s’agit donc d’enseigner dans toutes les disciplines concernées (et notamment en management) comment évaluer la qualité d’un site, que demander, comment gérer cet aspect. Ce n’est pas comme si ce n’était pas essentiel.

          1. Je ne parlais pas d’apprentissage du « par-cœur » mais je vois ce que tu veux dire et tu élargis énormément le débat, avec le meilleur commentaire que j’aie lu depuis très longtemps où que ce soit, merci pour la densité et l’inspiration.

            Pour autant science sans conscience n’est que ruine de l’URI, et je pense que pour que nos élèves sachent argumenter et réfléchir sur les évolutions des briques, ils doivent d’abord apprendre à bien les manipuler — donc les apprendre elles-mêmes, purement et simplement.

            Mais (je me répète) tu ouvres des champs de possibles auxquels je n’avais jamais réfléchi en ces termes.

      2. Y a peut-être un snobisme… mais par rapport à certains de mes anciens amis de fac (qui eux ont viré devs java et consorts), je m’éclate 100 fois plus, et ces derniers n’osent plus comparer nos réalisations (les leurs et les miennes) et le plaisir que chacun en tire. Et franchement, snober en faisant du java, c’est ridicule, tout le monde sait que java ça rame, ça pue et c’est de la m…. (attention, il y a un troll, saurez-vous le voir ?).

        Plus sérieusement, je tempèrerais ton propos : le domaine est vraiment récent, l’intégration XHTML/CSS (CSS-layout), c’est pas si vieux que ça, jQuery, les media-queries, etc. et companie, c’est quand même très récent. Le métier se révolutionne assez régulièrement, et le train va à une vitesse d’enfer. Curieusement, les intés qui suivent le mieux à mon sens sont ceux qui pratiquent le plus.
        (ajoute à ça qu’on a mal enseigné le domaine pendant des années… vivent les tableaux)

        Trouver de bons intégrateurs n’est pas si courant, et donc trouver de bons profs dans l’intégration doit être encore plus difficile. Je me souviens lors de ma présentation de stage en 2003 (il y a 9 ans) avoir vu mon prof ne même pas comprendre ce que je lui racontais quand je lui parlais standards, séparation structure/contenu. Vu les discours que j’y ai entendu la dernière fois que j’y suis allé (il y a 5 ans), j’ai l’impression que c’est encore une zone obscure pour certains profs.

        D’ailleurs, certains élèves sont proprement stupéfaits quand on discute temps de réalisation : ils n’arrivent pas à croire qu’on peut pondre un petit site full/CSS/standards/media-queries/propre en moins de deux jours avec la qualité qui suit, de manière extrêmement agressive.

        Ce genre de rendements n’est possible qu’avec beaucoup, énormément de pratique, et il faut considérer ça comme un art pour vouloir le faire ainsi. Vu qu’HTML/CSS ne sont pas considérés comme des « langages nobles », difficile de faire comprendre que c’est un art.

        Et pourtant… tous les gros projets bien casse-gueule que j’ai eus à faire… finalement, on s’en sort bien parce que l’intégration s’en sort bien. Sans aucunement minimiser d’autres postes, je constate de plus en plus qu’avoir une équipe sérieuse à l’intégration est un pré-requis à beaucoup de choses (perfs, smartphones, référencement naturel, accessibilité, etc. ), et surtout beaucoup de soucis en moins. Quand les décideurs comprendront que le front, c’est ce qu’on va montrer à la terre entière, ils auront compris une chose très importante.

        1. D’accord avec tout ça. Il y a un paradoxe: le développement front a acquis une vraie technicité, avec de multiples technologies, adossées à des navigateurs qui font rien qu’à faire ce qu’ils veulent. Développer en front aujourd’hui, c’est comme jongler avec une quille, un pot de peinture, une torche allumée et un bol d’essence, en se tenant en équilibre sur des mini-skis posés sur des sables mouvants. Un cauchemar pour les uns, un bonheur pour ceux qui aiment en découdre. La deuxième catégorie, pourtant, se retrouve moins coté front que coté back. Peur de la lumière? ou juste pas assez de cojones?…
          Tu fais référence à la vitesse de développement qu’autorisent ces technos. Totalement vrai, à condition, comme tu le soulignes, de maîtriser les outils. Un Chris Heilmann te pond une appli en live, en une demi-heure chrono, en combinant deux-trois API. Et c’est parce qu’il connait son écosystème technique mieux que sa tignasse.
          Le volume de ressources gratuites que diffusent certains développeurs ou experts anglo-saxons laisse penser que ce qu’ils ont vendu doit être colossal. A coté de ça, les Français sont très discrets, voire transparents. On m’a dit qu’il y en a de très forts, et je veux bien le croire. Mais aucun d’entre nous n’a la renommée d’un Zeldman (266000 followers sur Twitter) ou d’un Eric Meyer (43000, par mal pour un monteur HTML/CSS). De fait, l’Amérique du Nord et la Grande-Bretagne paraissent percluses de bons professionnels, productifs, innovants, bon communicants. Ce sont aussi des contrées où l’accessibilité se fait plus qu’elle ne se discute, et depuis plus longtemps qu’en France. Coïncidence? Pas sûr.

          1. Ne connaissant pas la situation outre-Atlantique je ne sais pas pourquoi c’est différent d’ici. Peut-être certains pourront nous éclairer là dessus ?

            Mon opinion, depuis les années où je travaille dans le web, c’est que les métiers de la production sont largement déconsidérés. J’ai en mémoire un passage dans une agence de com’ (attend je vomis…), des gamins de vingt ballets venaient « breefer » (le terme à la mode à l’époque) des développeurs confirmés sur les tâches à effectuer.

            Je ne dis pas qu’il ne faut pas d’encadrement, et probablement que le monde de la com’ est mal choisi tant il est le souvent le summum du n’imprte quoi (bling bling). Je crois que dans notre beau pays seuls sont valorisés les postes d’encadrement, un ouvrier restera toujours un ouvrier, et c’est sale…

            Quand un développeur atteint un certain âge, il regarde autour de lui, les autres ont dix ans de moins. Pourtant s’il aime le code et qu’il est bon là dedans, quelle suite donner à sa carrière ? Rester entouré de « jeunes en or » (junior), devenir chef de projet ? (Nous y voilà…)
            Chef de projet serait-ce l’évolution naturelle d’un développeur ? Selon moi les compétences requises ne sont pas du tout les mêmes, et peu de gens ont les qualités humaines nécessaires pour gérer des projets et surtout des humains.

            Ensuite, comme tu le dis très bien Olivier, de nombreuses années en SSII m’ont permis de m’apercevoir que l’on n’utilise pas quelqu’un parce qu’il est bon dans un domaine, mais parce qu’il est disponible. Un client final ne choisit pas un prestataire parce qu’il est bon, mais parce qu’il vient d’une société référencée et qu’il est disponible.
            La conséquence ?

            On se retrouve à faire des choses pour lesquelles ont est pas forcément les meilleurs, il fallait bien quelqu’un pour le faire. En attendant on utilise pas au mieux nos capacités, ce qui crée probablement une certaine frustration.

            Je pense aussi que pendant longtemps nos métiers ont été mal compris, c’est moins le cas maintenant.

            Certaines incompréhensions entre le client « je veux du pixel perfect » et les développeurs « tu me fait chier, moi je veux faire du standard ».

            Quoi de plus frustrant que passer son temps à bricoler des sites dans ces conditions ?

            Il y a derrière ça un manque de pédagogie aussi.
            Il y a quelques années à propos de l’expertise j’ai lu des choses passionnantes qui me sont apparus comme une évidence. Communique avec ton client, tu as l’expertise technique, lui non, écrit lui les tenants et les aboutissants de ces décisions, pourquoi tu penses que telle ou telle chose ne vont pas marcher. S’il ne veut pas, fait ce qu’il veut (ou barre toi LOL), quand il reviendra vers toi parce qu’effectivement ça ne marche pas, tu lui ressortiras ton mail, et tu auras gagné ta crédibilité d’expert.

            Par contre il faut le vouloir, avoir l’énergie et la patience de communiquer, ça en vaut la peine, c’est sûr. Si les clients nous payent c’est parce qu’ils nous reconnaissent une expertise, alors si on pense qu’ils nous demandent des choses qui pourraient être fait différemment c’est aussi notre devoir de conseil de le leur dire.

            Ce qui est aussi très démotivant c’est le peu d’exigence des gens qui nous entourent et des processus en place, notamment en ce qui concerne les standards (l’accessibilité est un très bon exemple).

            Encore la semaine dernière j’ai eu un exemple criant, provenant d’une des plus grosses SSII française, les dev sont terminés, on va pouvoir faire l’audit accessibilité. Après avoir échangé avec un dev il m’a répondu : ça n’était pas dans le scope initial.
            No comment.

            Au final, pourquoi faire des efforts ?
            Même si il y a du mieux, aujourd’hui on bricole un peu html et css, pas la peine de se faire chier avec l’accessibilité, on trouve une place au chaud dans n’importe qu’elle SSII et pas trop mal payé si on est pas trop con.

            Autre solution, devenir évangeslite 🙂
            Partir en croisade contre les mauvaises pratiques, porter le drapeau de l’accessibilité sur le champ de bataille, prêcher la bonne parole…

            Probablement que les histoires de salaires comptent.
            Aujourd’hui une brute en html/css/js devrait être le roi du pétrole !
            Est-ce le cas ?

            La formation aussi !
            Comment former efficacement sur des sujets qui évoluent aussi rapidement ?
            Une presta vient de rejoindre l’équipe, elle a fait EFREI, et a été formée à l’accessibilité.
            A voir comment, mais c’est plutôt positif. La plupart du temps dans ces cas ce sont des intervenants extérieurs qui officient (des experts).

            Depuis 2008 où je suis passé par la formation AccessiWeb (Quelle révélation, jamais connu rien de mieux depuis que je bosse !), j’ai vu les choses bouger, mais au finalement une grande majorité de gens se foutent royalement de l’accessibilité.
            On est encore trop dans la méconnaissance des bonnes pratiques, ou la fainéantise de les appliquer, ce qui demande parfois un bon niveau technique que tout le monde n’a pas, ou juste d’un peu de volonté, des chefs de projets aussi.

            J’ai toujours pensé, et je continue de penser, que html est la base de tout, css ensuite, si c’est foiré à ce niveau là, le projet devient durablement bancal.
            C’est peut-être finalement pour cette raison que ce métier devrait être beaucoup mieux considéré ?

            Yves Convert

          2. Un bon rappel de la part d’Yves sur le je-m’en-fichisme ambiant en matière d’accessibilité du Web dans bon nombre d’agences : moi-même, tout en tâchant de prêcher l’accessibilité (de là à me considérer comme évangéliste, j’estime qu’il y a encore une marge…), j’ai essuyé ce genre d’attitude au point de me demander, avec du recul, si je n’étais pas pris pour un con.

            Il y a aussi un autre écueil : le fait que les formations à l’accessibilité elles-mêmes sont parfois dévalorisées. Récemment, j’ai passé un entretien avec un directeur d’une société ayant la double casquette de SSII et d’agence Web. Ce dernier a dit que la formation d’expert Accessiweb était une formation facile parce qu’on réalise un audit d’une page Web à l’issue duquel on obtient le titre d’expert Accessiweb ; autrement dit, ce n’est pas le genre de formation susceptible de valoriser considérablement un profil par rapport à je ne sais quelle certification plus prestigieuse (certification Microsoft ou Adobe). Le comble est que la société en question fait partie des organismes membres du Groupe de Travail Accessiweb (elle comporte un expert Accessiweb en son sein) ! Il y a de quoi s’interroger, non ? De toute façon, c’est bien connu, la plupart des entreprises qui mettent leur nez dans l’accessibilité du Web sont davantage motivées par la recherche d’une image respectable que par la philanthropie. *clin d’œil*

          3.  Pour ma part, je me fous de ce côté pipole, rock star, etc. dans le sens
            où je ne juge vraiment pas la qualité d’une personne ou de ce qu’elle
            produit ainsi. C’est propre à chacun, mais alors moi je m’en fous à un
            point ! Comme dirait l’autre : pourquoi publiez-vous pour le web ?
            Est-ce pour sa gloire… ou la vôtre ? (les fans auront reconnu Indiana
            Jones et la dernière croisade, instant culture)

            C’est peut-être culturel aussi, pour ma part, je préfère des personnes
            un poil plus discrètes, mais tout aussi intéressantes. J’ai bien
            ressenti ça à Paris-web, le web francophone a de très fortes
            préoccupations de qualité au sens large, mais pas de personnes, même si
            certaines sont très aimées (et à juste titre), elles ne sont pas
            starifiées… et c’est très bien ainsi !

            Ceci dit, le web francophone a des ressources de qualité, et ma foi…
            mes dernières lectures sont d’auteurs français ! Et entre nous, tu n’as
            pas choisi les moins connus.

            Après, le meilleur moyen à mon avis de voir ces sujets passer dans le
            grand public… il n’y a pas 36 solutions : rabâcher, en parler,
            vulgariser, rendre accessible, toujours partir des bases, etc.

            Et surtout de décomplexer, arrêter de viser l’Everest là où le monde a
            déjà besoin de s’entrainer à gravir une colline avant d’aller plus haut.
            Là, les experts accessibilité ont une grande responsabilité à assumer
            àmha.

            Quand on veut un changement, à mon avis, on a plus de chances de le voir
            se réaliser si on en est acteur en allant vers les autres plutôt que si on attend que les autres y
            viennent.

            Ce qui me rend optimiste, c’est que je vois l’évolution : quand je parlais de ces sujets :

            – il y a 9 ans, on me riait au nez,

            – il y a 6 ans, on me disait que j’en faisais trop,

            – il y a 3 ans, on me disait que c’était bien assez…

            Et maintenant ? Et bien on se rend compte que ça permet de durer, que ça
            permet d’évoluer, que ça permet de tenir… et globalement, que
            l’effort a été fait, il n’y a plus qu’à entretenir le feu dans la
            cheminée si j’ose dire.

            J’ai été mis en concurrence face à des pays low cost, certes au coût
            direct, je peux pas m’aligner, mais sur du moyen/long terme, la donne
            est vraiment différente. Ce sujet, je l’aborde ici si ça t’intéresse : http://www.nicolas-hoffmann.net/source/1443-Deux-mondes-ne-pouvant-pas-se-comprendre.html et encore, je pourrais sortir d’autres exemples.

            Après, pour en revenir au sujet de l’art, je ne me revendique pas
            artiste, mais quand je fais une intégration, j’y trouve un plaisir
            artistique. Et plus il y a de trucs qui viennent complexifier la donne
            (jQuery, CSS3, perfs, etc.), plus je trouve ça valorisant et beau.

            Ma cousine (qui n’y connaît rien) me regardait il y a quelques mois
            faire une intégration. Elle m’a dit : « c’est incroyable ce que tu
            arrives à faire avec du texte ». Tout est dit.

          4. Pour moi non plus la starification n’est pas une fin en soi. En revanche elle est l’indice que l’on peut être reconnu pour son travail, un travail très technique par nature, bien au-delà du cercle des professionnels de la profession. J’ai volontairement pris des noms ultra-connus, au point qu’on peut difficilement avoir fait un peu de veille sur le web sans les avoir croisés un jour ou l’autre. Simplement pour montrer que certains ont pu le faire, et que ceux-ci ne sont pas des Frenchies (hormis notre Nitot national, mais il triche).
            Pour l’aspect artistique, ça me fait penser à cet article de James Edwards: The Art of Accessibility: http://www.sitepoint.com/the-art-of-accessibility/ En synthèse: la « contrainte » (oh que j’aime pas ce mot) n’est pas un frein, mais un moteur de la créativité. Ceux qui s’en plaignent sont aussi ceux qui ont le moins de puissance créative, celle qui permet de transcender le cadre pour produire un résultat encore plus surprenant, ébouriffant, bref, du bon boulot, quoi.
            Pour ma part, à l’époque où je codais encore *soupir*, je voyais une page à créer, optimiser ou accessibiliser, comme une espèce de puzzle géant, un défi à mon ingéniosité, du coup la tâche était un peu moins lourde sur mes frêles épaules de développeur…

          5. « Pour moi non plus la starification n’est pas une fin en soi. »

            Pour moi si : après les gens me donneront plein d’argent, une grande maison avec piscine et des tas de bimbos dedans, et je psalmodierai des paroles absconses sur un fond vaguement R’n’B avant d’enfiler à même la peau une fourrure gigantesque, soyeuse et blanche.

            Mais je m’égare.

            (on n’est pas sur « fans-de-rap-et-de-arènbi-point-com » ?)

        2. « Ce genre de rendements n’est possible qu’avec beaucoup, énormément de
          pratique, et il faut considérer ça comme un art pour vouloir le faire
          ainsi. »

          Le point rassurant et négatif en même temps, c’est que je vois de plus en plus de gens qui viennent au front et qui le définissent comme « un boulot comme les autres ». Mais moins de passion =  moins de qualité (ce n’est pas un postulat religieux, je le constate au quotidien). La messe est dite, me voilà pessimiste avant la cantine 😉

  7. J’oubliais un point : n’oublions pas que le domaine est relativement jeune, donc il faut aussi lui donner le temps de grandir et de mûrir. J’imagine que les années qui vont arriver vont être des années de rationalisation, de consolidation. C’est peut-être moins excitant dit comme ça, mais ce travail de fond va doucement porter ses fruits.

  8. Entièrement d’accord avec à peu prêt tout.

    Sauf que le système de commentaires de ce blog en javascript exclu, de fait, plusieurs lecteurs. On peut penser à la maigre proportion d’intégristes du web n’utilisant qu’un navigateur en mode texte (je m’inclus un peu dedans). Mais, plus embêtant, on peut également penser à un public non ou mal voyant qui n’ont pas tous accès au dernier gadget dernier cri pour décoder le web en braille.

    Bref, c’est dommage.

    1. Argh, oui, bien vu. De fait, on peut afficher les commentaires, mais pas contribuer. Donc si un lecteur souhaite contribuer sans js: envoyez-moi votre commentaire par courriel ici: olv[point]nourry[at]gmail[point]com, avec votre pseudo, pour que je puisse vous publier en back-office. En attendant mieux, bien sûr, car là tout de suite je manque de temps pour recoder Disqus ou le remplacer par un système qui fonctionne sans js tout en offrant le même niveau de service. Si vous avez des tuyaux, je suis preneur.
       Tordons cependant tout de suite le coup à cette idée reçue: javascript ne pose pas de problème particulier aux utilisateurs de lecteurs d’écran (sauf les très très vieux et très très rudimentaires), qui fort heureusement supportent js. C’est vrai qu’il y a problème possible sur les rafraîchissements et les manipulations de DOM mal fichues, mais comme pour tout, on a des solutions techniques.
      En revanche, c’est nettement plus problématique pour les gens derrière un PALC (proxy à la con) qui filtre tout ou partie des requêtes Ajax, voire sur les postes où c’est désactivé. Ça m’est arrivé: http://webyboom.canalblog.com/archives/2007/09/04/6095964.html  et en plus j’ai aussi écrit sur le sujet par ailleurs: http://webyboom.canalblog.com/archives/2007/09/04/6095981.html (ça date un peu, mais ça reste vrai sur le fond). Donc je vais pas faire style, je m’en tape… donc merci d’avoir signalé ce point.

  9. J’ai pu rencontré braillenet, j’ai travaillé en accessibilité aussi , je lis tes articles depuis un temps ….
    Je suis analyste concepteur Web  , ayant une grand sensibilité pour l’accessibilité et a l’accès a l’information … bref …
    une chose que trop de gens oublient , c’est que l’accessibilité peut servir a tous et c’est très simple :
    le référencement naturel !! plus un site est accessible plus il a du contenu intéressant ( exemple : les alt des images , les alternatives texte aux vidéos etc … )

    un article intéressant qui n’est pas de moi : http://www.secrets2moteurs.com/video-referencement-et-accessibilite-des-methodes-qui-convergent.html

    ben oui cela sert a tous 😉

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